Yuri Buenaventura et Tempo Latino ? Michel Fugain vous chanterait sans hésiter que c’est un beau roman, une belle histoire, une romance d’hier et d’aujourd’hui ! Présent dès la première édition du festival en 1994, le plus français des soneros colombiens ouvre la boîte à souvenirs et nous parle de ses premiers pas à Vic, de son dernier album enregistré à New York ainsi que de son prochain concert à Tempo Latino le 27 juillet 2025 !
QTP – Tu seras sur la scène de Tempo Latino, le plus grand festival de musiques latines d’Europe, le 27 juillet prochain. C’est un festival avec lequel tu entretiens un lien très fort puisque tu étais présent dès sa première édition en 1994. Tu nous racontes ?
Oui, la première fois que je suis allé à Tempo Latino, c’était avec un groupe qui s’appelait Mambomania, qui est un groupe franco-guadeloupéen fondé par Marc Vorchin et Laurent Erdös et j’étais choriste dans cette formation. C’était en 1994 et c’était ma première fois. Après, en 1995, je crois, je suis venu avec un autre groupe et au fur et à mesure, j’ai monté mon propre orchestre colombien avec lequel je suis revenu à partir de 1997. Au final, je suis venu huit fois en tout.
Je connais la région, j’ai été intronisé Mousquetaire de l’Armagnac, j’adore l’Armagnac, j’aime beaucoup les gens, c’est vraiment une belle histoire. Il y avait une époque où, quand on allait à Jazz in Marciac et je suis allé deux trois fois à Marciac, hé bien si on jouait à Marciac, on ne pouvait pas aller à Tempo Latino, c’est drôle, mais c’était très intéressant. C’est un peu la famille là-bas, c’est intéressant comme on tisse des liens avec les gens, avec une région, comment on découvre, on apprécie, on ne se voit pas beaucoup mais c’est super. J’ai connu des gamins, ils avaient 5 ans, aujourd’hui, ils ont 35 ans ! C’est dingue !
Jouer dans les arènes de Vic, c’est toujours quelque chose de particulier pour toi ?
Oui, les arènes, c’est un espace pour les taureaux, au départ, mais la constitution de la place, elle est au milieu du village, c’est très joli, c’est très touchant, c’est convivial. Les jeunes qui n’ont pas beaucoup d’argent, ils dorment au camping. Les autres qui ont des voitures, ils dorment dans les villages à côté, il y a un esprit très familial, un esprit qui ressemble beaucoup à celui de l’Amérique latine. Il y a des valeurs humaines, des valeurs autour de la musique et de la rencontre avec la musique, c’est super.
Oui, et il y a un public qui vient de toute l’Europe…
Oui, c’est ça, c’est très ouvert et c’est important. Combien de gens ont dû se rencontrer là-bas ? C’est dingue…Des amitiés, des rapports qui se sont tissés… Et dans un monde en conflit, comme aujourd’hui, c’est d’autant plus important.
Tu as sorti à l’automne dernier un nouvel album, Amame, que tu as enregistré à New-York avec des musiciens locaux d’origine cubaine, espagnole, colombienne… Cet album est un hommage à la salsa dura new-yorkaise des années 70. C’est la première fois que tu travaillais dans cette ville ?
Il y avait des musiciens de plein de nationalités différentes sur l’album, il y avait de tout. C’est ce qui est fantastique avec ce genre de ville. C’est fantastique la diversité qu’il y a, même si Donald Trump est en train d’attaquer cette diversité, nous, c’est pour ça qu’on les aime. Si on allait là-bas et qu’on ne rencontrait que des gens d’origine hollandaise, qui ont bâti New-York, on n’aimerait pas, ce ne serait pas du tout la même chose. La ville est belle, la ville est riche avec ses taxis indiens, avec ses afro-américains, avec ses gens à la bourse, avec ses latinos, avec Harlem, c’est une ville fantastique. Et il y a la musique, la salsa est née là-bas.
Effectivement, c’est la première fois que j’enregistrais à New York. J’ai enregistré à Cuba, en Colombie, à Puerto Rico, en France, mais jamais à New York.
Nous jouons de la salsa dura en Colombie, il y en a aussi à Cuba, il y en a partout en fait, mais ce qui change à New York, c’est la sonorité, la prise de son, les ingénieurs ont leur propre façon de voir le son et c’est un son très américain.

« On vit une période délicate, c’est pour ça que les rencontres humaines sont si importantes… »
Justement, l’album a été enregistré avec Dave Kowalski, qui a longtemps été l’ingénieur du son de Tony Bennett. Comment vous-êtes vous rencontrés ?
C’était par accident ! En fait, on avait loué un studio et notre producteur était un peu en retard avec les arrangements. Donc j’ai appelé le studio et j’ai dit, on doit changer les dates du studio car on est en retard dans la production des arrangements, tout ça… Et ils m’ont dit attention, après cette date-là, on ne peut pas. Alors j’ai dit, ah bon, mais comment ça on ne peut pas et ils me disent non, c’est pas possible. Alors j’ai parlé avec le producteur local que j’avais engagé et il a trouvé un autre studio, mais c’était un tout nouveau studio… J’ai dit OK et nous y sommes allés. Là, on a parlé avec les gars du studio, on a trouvé le studio bien, mais j’étais quand même un peu déçu de ne pas pouvoir enregistrer dans le studio qu’on avait choisi au départ.
Plus tard, dans ce nouveau studio, on avait déjà commencé à enregistrer les pianos, la section rythmique et tout ça et à un moment donné, l’ingénieur du son m’a demandé avec quel micro je voulais chanter. Alors je lui dis, moi, j’aime bien les AKG, j’aime bien les Neumann, on parle micros et dans la discussion, il me dit, ah, vous savez, j’étais l’ingénieur du son de Tony Bennett et là je lui dit, comment ça ? Il me dit si, si, j’étais l’ingénieur du son de Tony Bennett et il enregistrait avec ce micro, c’est son micro…
En fait, à cette époque-là, je doutais encore, je me demandais si je continuais à enregistrer ici ou si j’attendais de pouvoir chanter en Colombie, vous savez, le projet a été pas mal chamboulé, c’était compliqué. Et finalement, ça s’est super bien passé, je suis tombé sur cet homme par accident et c’était merveilleux, c’est un américain merveilleux, j’ai beaucoup aimé travailler avec lui.
Et c’est ça, la grande différence de New York par rapport à d’autres lieux. Un ingénieur français va avoir une approche française du son. Un latino-américain va avoir une approche latino-américaine. Un américain de New York va avoir une approche urbaine, avec un son très costaud. Et le son, c’est très important. Et c’est vrai que l’album a une patte assez marquée au niveau du son, c’est leur patte. On ne peut rien dire des américains. C’est leur manière de faire, leur manière de voir les choses.
L’album a une dimension “crooner” assez affirmée avec de belles ballades qui ont parfois même droit à leurs versions alternatives piano-voix. C’est des versions que tu joueras en live ?
Oui, les morceaux piano-voix, en fait, l’idée derrière, c’est que quand les Européens sont arrivés en Amérique latine, les espagnols, les français, ils sont venus avec leurs instruments, le piano, la contrebasse, le violoncelle, la trompette, le trombone… Les noirs, les esclaves et les autres humains qui ont fait partie de l’Histoire de l’Amérique au XVIIe ou XVIIIe siècle ont commencé à réinterpréter ces instruments à leur manière. En fait, la composition d’un titre de salsa, si on le décortique, si on enlève les trompettes et les tambours, il y a une ligne mélodique qui, quasiment tout le temps, est européenne.
Si vous prenez Lloraras d’Oscar D’León, c’est une ligne mélodique méditerranéenne, une ligne mélodique européenne. C’est quand on rajoute la section rythmique, il y a rencontre avec l’Afrique et après, l’harmonisation est un peu plus jazzy, c’est la rencontre entre l’Amérique latine et les États-Unis. C’est pour ça que je fais Amamé en salsa et Amamé en acoustique. C’est pour ça que je fais Tu y Yo en salsa et Tu y Yo en acoustique, pour montrer que ces lignes mélodiques sont européennes et sont arrivées sur le continent américain au 16ème et 17ème siècle. Quand on écoute la musique africaine ou la musique amérindienne, ce ne sont pas les mêmes lignes mélodiques. Ces lignes mélodiques viennent d’Europe, après, on rajoute les percussions, les cuivres, on rajoute tout ça…
Je vais faire ces versions à Tempo Latino et c’est un passage vers cette époque où les percussions ne faisaient pas encore partie de la ligne mélodique…Parce que si vous prenez les instruments de la salsa, c’est le piano, la basse, les cuivres, les violons dans les charangas et tous ces instruments sont européens. Les instruments africains, c’est les tambours. Donc, dans ce grand brassage qu’est la salsa, si on enlève les tambours, il reste l’Europe. Et c’est pour ça que j’ai fait ces versions. J’espère que les gens vont comprendre parce qu’on n’a pas trop le temps de parler de ça avec le public.
C’est hyper intéressant. Il faudrait peut-être que tu prennes 30 secondes pour leur expliquer tout ça…
Il faudrait que j’écrive un texte pour ça, parce qu’il faut vraiment l’expliquer. Bon, maintenant on va aller à l’origine de la salsa ! Mais comment faire comprendre aux gens ? Expliquer tout ça, c’est très difficile ! Ah, peut-être que pendant que je joue, je peux dire et maintenant je vais enlever les percussions. Maintenant, je vais enlever les cuivres. Je pourrais décortiquer la chanson en live pour que les gens comprennent d’où ça vient…
Le 28 juillet à Tempo Latino, tu partageras la scène avec Le Spanish Harlem Orchestra, une institution de la salsa dura. Une petite descarga en perspective ?
C’est pas prévu mais on sait jamais ! Des fois les gens, ils viennent, mais là, je ne sais pas, on ne se connait pas vraiment. Je ne connais que Jimmy Bosch et je ne sais pas s’il sera là. Et c’est des américains, on dit Spanish Harlem Orchestra, mais c’est des américains et ils ont une vision de la chose très différente de nous. Mais on verra comment ça va se passer.
Après ce concert à Tempo Latino, quels sont tes prochains projets ?
Après, je vais continuer la tournée jusqu’au mois de novembre. On va aller en Espagne, au Mexique. Et on va travailler de nouveaux titres. On va enchaîner assez vite sur un nouvel album…
Un dernier mot ?
Ah, c’est bien, Vic, j’aime bien, j’aime bien cet esprit du Gers, on n’est pas sur la côte, on est au centre de la France. C’est très agréable. C’est comme si on était perdu, loin du monde. C’est sympa, j’adore, j’adore, j’adore. J’aimerais vraiment remercier l’équipe de Tempo Latino qui, depuis tant d’années, défend ce festival, la région du Gers et qui, au-delà de la musique latine, défend la rencontre humaine, ce qui est très important.
Pour moi, les rencontres humaines sont de plus en plus importantes surtout dans un monde polarisé. C’est très important qu’il y ait des espaces de rencontre. Il y a eu la COVID, maintenant avec la guerre, c’est comme si on était appelés à se retrancher chacun dans son coin. Alors qu’en fait, il faudrait faire exactement le contraire. Ce qui serait joli, c’est d’aller dans un festival de salsa et d’y rencontrer des musulmans, des juifs et que tout le monde danse avec tout le monde, on ne peut pas aller sur ce chemin-là, c’est l’apocalypse, la haine de l’autre, non, c’est pas bon du tout. On vit une période délicate, c’est pour ça que les rencontres humaines sont si importantes.
Crédits photos : Yuri Buenaventura © Vivienne Music