Après 30 ans de mariage et deux enfants en commun, Miren Torres quitte le domicile conjugal et porte plainte contre son mari pour violences conjugales. Cette grave accusation contraint ses enfants, Jon et Aitor, à faire un choix : croire leur mère ou soutenir leur père qui clame son innocence. Ce voyage dans l’intimité familiale est le fil conducteur de Querer, une mini-série espagnole réalisée par Alauda Ruiz de Azúa qui a connu un succès retentissant en Espagne l’an passé. Querer, diffusée depuis début juin sur Arte, est un puissant thriller émotionnel, aussi passionnant que bouleversant.
Une violence omniprésente, sourde et insidieuse
Miren est une femme au foyer de 50 ans d’apparence ordinaire. Sa vie se déroule sans soubresauts dans un appartement cossu du centre-ville de Bilbao où elle réside avec Iñigo, son mari depuis 30 ans. Elle a arrêté de travailler il y a longtemps quand ses deux enfants, adultes maintenant, sont nés. Sa vie se déroule sans problèmes apparents jusqu’au jour où elle entre dans un commissariat pour porter plainte contre son mari. Une plainte pour viols répétés depuis 20 ans.
Cette plainte ouvre dès lors la voie à un violent séisme familial.
Querer traite les violences conjugales et sexuelles avec une narration sobre et contenue, sans jamais montrer une seule scène de violence physique. Tout repose sur l’atmosphère étouffante, le climat de peur, les silences pesants et les regards fuyants. Comme dit Miren à son fils ainé dans une scène extrêmement poignante, « Je me suis forcée à faire semblant pendant trente ans… Quand je faisais semblant, ça faisait moins mal et ton père terminait plus vite. » Cette phrase résume à elle seule l’ampleur du terrorisme domestique vécu par Miren, violée de manière répétée pendant vingt ans au sein même du foyer.

Ce type de violences, souvent ignorées ou minimisées, sont loin d’être marginales. En Espagne, 6,7 % des femmes déclarent avoir subi des violences sexuelles au sein de leur couple. Ainsi, plus d’un million d’entre-elles ont été victimes de violences sexuelles à domicile. La série illustre parfaitement cette réalité tragique et montre que l’ennemi est souvent tapi à l’intérieur même de la maison. Elle interroge ainsi le consentement dans le mariage, longtemps considéré comme allant systématiquement de soi.
Une famille bourgeoise rongée de l’intérieur
La force de cette mini-série réside dans la manière dont elle parvient à dépeindre la famille bourgeoise de Miren, conservatrice et harmonieuse en apparence. Ce vernis social vole en éclats au fil des épisodes, révélant un climat de terreur émotionnelle au cœur du foyer. Les deux fils, Aitor et Jon, peinent à accepter la vérité. L’un d’eux cherche même à étouffer l’affaire, refusant ainsi de regarder l’horreur en face. Cette négation collective, typique de nombreuses familles, ajoute à l’intensité dramatique du récit.

Miren Torres, une femme digne, forte et courageuse
Le personnage de Miren est interprété avec une intensité remarquable par Nagore Aranburu, dont la retenue, la dignité et la sobriété impriment littéralement chaque scène. Cette femme brisée, mais jamais soumise, fait preuve d’un courage exceptionnel en claquant la porte du foyer et en mettant à distance ce monstre qui partageait sa vie, Iñigo Gorosmendi, magistralement interprété par Pedro Casablanc. C’est la honte, les silences, la culpabilité et les regards désapprobateurs qu’elle devra courageusement affronter. En effet, le simple fait de parler des violences sexuelles reste encore un profond tabou, à fortiori dans des milieux conservateurs comme la bourgeoise basque à laquelle appartient Miren.

Un voyage judiciaire dans la douleur et la résilience
En quatre épisodes nommés « Aimer », « Mentir », « Juger » et « Perdre », Querer suit le parcours judiciaire de Miren. Des épisodes qui s’articulent comme un cheminement émotionnel et moral. Le procès, qui intervient au 3ème épisode de la série, est filmé sans artifices dramatiques. La lumière est crue, la musique absente et les silences particulièrement pesants. Le tribunal prend alors la forme d’un lieu d’introspection et de vérité, un moment difficile mais libérateur pour Miren qui lui permettra de se reconnaître comme victime.

Une œuvre difficile, mais essentielle
Querer est une mini-série d’une justesse remarquable qui refuse l’excès pathos et s’abstient de toute posture moralisatrice. Véritable secousse émotionnelle, l’inconfort qu’elle suscite n’est pas un défaut, mais une vraie nécessité. Elle peut nous aider à sortir du silence, à remettre en question nos idées reçues sur l’amour, sur le mariage, sur la famille et le consentement.
Auréolée cette année du Grand Prix de la compétition internationale à Séries Mania 2025, Querer confirme tout le talent d’Alauda Ruiz de Azúa, considérée comme l’une des réalisatrices espagnoles les plus prometteuses de sa génération, notamment depuis qu’elle a remporté trois Goya dont celui de la Meilleure Réalisation pour son premier film, Cinco Lobitos.