Dans le petit monde de la critique musicale, il est communément admis qu’un recul de dix ans est nécessaire pour juger définitivement de la qualité d’une œuvre. Le temps a ceci de formidable qu’il permet de trier les véritables coups de génie des productions moins inspirées sauvées des eaux par de chatoyants artifices studio.    


Dix ans de recul pour juger définitivement une œuvre ? On cautionne volontiers le procédé ! Pourtant, quand il débarque en 2011 sur les plateformes, Sem nostalgia nous met une telle claque que l’on sait déjà pertinemment qu’il ne subira pas les outrages du temps. Une décennie s’est écoulée et l’on peut désormais le clamer haut et fort : Lucas Santtana a enfanté l’un des plus grands disques brésiliens des années 2010.

Un grand espoir de la nouvelle scène brésilienne

À la sortie de Sem Nostalgia, Lucas Santtana est déjà une figure reconnue de la scène indépendante brésilienne. Son premier opus Eletro Ben Dodô (1999), qui oscille avec talent entre électro et samba-funk, a été particulièrement remarqué. À l’heure de publier son nouvel album, le bahianais fait ce qu’il a toujours fait et qu’il continuera à faire tout au long de sa carrière : il redistribue complètement les cartes afin de créer quelque chose de nouveau. Peut-être ne le sait-il pas encore, mais c’est une quinte flush royale qu’il tient entre ses mains.

Less is more

Pour ce quatrième album, il prend le parti de se tourner vers une formule guitare-voix à priori très classique. Sem nostalgia n’aura pourtant rien d’un album acoustique lambda tant il fera voler en éclats les canons du genre.

Pour composer, il recourt à un équipement ultra-minimaliste : une guitare, sa voix, quelques effets et une MPC avec laquelle il samplera et rejouera les accords et les mélodies qu’il a échafaudés. Comme souvent, économie de moyens rime avec créativité et les douze titres qu’il met en boîte en sont littéralement gorgés.

Ainsi, d’effets vertigineux en samples graciles, d’abstractions lo-fi en désaccordages subtils, Lucas Santtana brouille les pistes et imprime à ses compositions une amplitude inouïe. En témoignent Super violao mashup, collage dadaïste digne des meilleurs Tom Zé, ou encore Cira, regina e nana, ballade hallucinée perdue quelque part entre la guitare de Jorge Ben et l’armoire à pharmacie de Syd Barrett.

Un album hybride

À sa sortie en Europe via l’excellent label londonien Mais um discos, le dossier de presse parlait de chaînon manquant entre Tom Yorke et Tom Zé. Une formule qui claque, certes, mais un peu réductrice tout de même…

Tom Zé ? Oui, bien sûr, cette façon de déconstruire puis de reconstruire une composition indique clairement une filiation, mais la sombre radicalité que Lucas Santtana impulse dans ses samples le rapproche aussi des grandes figures de l’abstract hip-hop comme DJ Shadow, DJ Krush ou RJD2. Tom Yorke ? N’en déplaise au quintet d’Oxford, les dissonances en jeu dans Sem Nostalgia s’apparentent davantage à celles impulsées par la nouvelle scène expérimentale de Chicago, Tortoise et Gastr Del Sol en tête…

Mais qu’importe, vous l’aurez compris, Sem Nostalgia est un classique à la croisée des genres et sans doute le meilleur album que le bahianais n’ait jamais produit…Quoique O Deus Que Devasta Mas Também Cura (2012) est aussi particulièrement remarquable, mais c’est une autre histoire…

Nous vous le disons ainsi sans nostalgie aucune : plus de dix ans après sa sortie, ce disque n’a pas pris une ride et se doit figurer en bonne place dans la discothèque de tout amateur de musique brésilienne. Vous pouvez même vous le procurer en vinyle car il vient d’être fraichement réédité par Mais Um Discos !


FICHE ALBUM


Sem Nostalgia de Lucas Santtana (2011)
  • Titre : Sem Nostalgia
  • Artiste : Lucas Santtana
  • Date de sortie : 2009 (Brésil) / 2011 (Europe)
  • Label : Mais Um Discos