Lors d’un bel après-midi ensoleillé dans le quartier du Marais, nous rencontrons Clara Roquet, la jeune réalisatrice de Libertad. Cette barcelonaise passionnée de cinéma n’est pas une nouvelle venue dans l’univers du septième art. En effet, cela fait longtemps qu’elle y travaille en coulisse en tant que scénariste. À son actif, 10 000 km (2014), Los días que vendrán (2019) de Carles Marqués Marcet ou encore Petra (2018) de l’iconoclaste Jaime Rosales.  Elle arrive ponctuelle, sourire aux lèvres, prête à parler de son opera prima qui a remporté récemment deux Goyas, dont celui du meilleur premier film.


Après avoir travaillé pendant des années comme scénariste, pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans votre premier long métrage ?

Lorsqu’on est scénariste, on est dans une position plus confortable. À présent, je peux dire que je comprends mieux les sentiments de peur, d’anxiété ou même de stress que peuvent ressentir les réalisateurs au long d’un tournage. Ce sont eux qui se trouvent en première ligne.

Libertad était une histoire très personnelle, très intime. Lorsque j’ai commencé à rédiger le scénario, j’avais déjà les images en tête. Très rapidement, j’ai réalisé que j’avais envie d’être la réalisatrice de cette histoire. Quand j’ai obtenu mon premier financement et que j’ai vu que le projet pouvait devenir réalité, j’ai senti d’un coup beaucoup de poids sur mes épaules…heureusement, tout s’est passé pour le mieux.

Le film traite de différents sujets, surtout de l’adolescence, avec les deux principaux protagonistes Nora et Libertad. On y retrouve de merveilleuses images de ce premier été des quinze ans. Comment avez-vous préparé cette partie du film ?

Je n’ai pas voulu parler exclusivement de l’adolescence, mais utiliser l’adolescence pour traiter ce moment dans lequel on crée notre propre identité, où on prend conscience de notre appartenance à une classe sociale. Une identité qui, la plupart de temps, se construit en opposition à celle de notre famille.

L’adolescence est une période où on vit les choses avec beaucoup d’intensité. L’amitié féminine pendant l’adolescence est très romantique. Pour moi, c’était le terreau parfait pour évoquer cette construction de l’identité.

Au départ, j’avais en tête l’histoire des retrouvailles entre une mère, Rosana, et sa fille, Libertad. Nora n’existait pas. Quand j’ai réalisé que je ne pouvais pas raconter cette histoire du point de vue de Libertad et que j’avais besoin d’un personnage proche de mon univers pour le faire, le film a commencé à être clair dans ma tête avec une structure en jeu de miroir.

« En tant que femmes réalisatrices, nous sommes conscientes que le gâteau à partager est petit. Notre but est de le faire plus grand… »

Vous faites le portrait de trois générations de femmes au sein d’une famille bourgeoise, Ángela, la grand-mère atteinte d’Alzheimer, Teresa, la mère, une quarantenaire sur le point de divorcer, et Nora, la fille adolescente qui souhaite découvrir le monde hors du cocon familial…

Libertad évoque l’idée d’héritage et de transmission de l’identité au sein d’une famille. La façon dont elles transmettent certaines idées et comment on y réagit. Par exemple, c’est très intéressant de voir dans le cas du personnage d’Ángela, cette grand-mère de la haute bourgeoisie, la perte progressive de conscience de son appartenance à une classe sociale en raison de la maladie d’Alzheimer. Elle se comporte de façon beaucoup plus humaine et naturelle avec Rosana, la personne qui s’occupe d’elle, que le reste de sa famille.

En revanche, pour le personnage de Teresa, cette situation produit une certaine jalousie, mais aussi une perte de référence. Quant au personnage de Nora, elle se sent en complète déconnexion avec sa mère qu’elle n’arrive plus à comprendre. Ces trois personnages féminins ont leur part d’ombre et de lumière, comme d’ailleurs les autres personnages du film.

Le film parle aussi de la vieillesse, de la maladie et de la façon dont on s’occupe des personnes âgées dans nos sociétés… Était-ce un sujet qui vous tenait particulièrement à cœur ?

Oui, pour moi, c’était le point de départ de l’histoire. L’idée m’est venue après avoir fait un court métrage intitulé El Adios, inspiré de la relation qu’avait ma grand-mère avec la personne qui s’occupait d’elle. Elles étaient très fusionnelles et s’aimaient beaucoup. El Adios raconte le vécu d’une femme bolivienne le jour de l’enterrement de la femme qu’elle avait à sa charge. C’est l’histoire d’un deuil, à l’écart de la famille.

Lorsque j’ai fait le casting, j’avais déjà en tête que le personnage devrait être interprété par une vraie auxiliaire de vie. J’ai rencontré beaucoup de ces femmes. En effet, sans m’en rendre compte, j’étais déjà dans un processus de documentation. Elles me racontaient toutes la même histoire. Elles avaient toutes laissé leurs enfants dans leurs pays d’origine. Pour moi, c’était un paradoxe frappant. Elles prennent soin des malades en Europe, mais pour le faire, elles ont dû quitter leur famille et renoncer à voir grandir leurs propres enfants. Il y a quelque chose de tragique dans tout cela. À ce moment-là, j’ai réalisé combien élever ses propres enfants était un privilège.

Le point de départ de Libertad, c’est le personnage de Rosana, l’auxiliaire de vie. Curieusement, c’est un personnage qui va s’estomper progressivement dans l’histoire, mais à mes yeux, c’est un pilier, un élément fondamental du film.

Pourquoi avez-vous choisi le titre Libertad ?

Le titre m’est venu avec la bande-dessinée Mafalda de Quino dans laquelle il y a un personnage qui s’appelle Libertad. J’ai toujours aimé cette petite gamine espiègle. Il y a aussi une question fondamentale qui traverse le film :  » peut-on vraiment être libre lorsqu’on n’a pas les moyens économiques de s’en sortir ? «  Peut-on considérer que Rosana est libre ? Et qu’en est-il des autres personnages du film ?

Comment s’est passé le tournage sur la Costa Brava ?

Ce n’est pas évident de filmer sur la Costa Brava. Nous ne le savions pas, mais il est interdit de tourner du 15 juin jusqu’au 1er septembre dans les centres ville, il y a une très forte affluence avec de nombreux touristes. On a donc dû filmer une partie du film avant le mois de juin. Je tenais beaucoup à le faire sur place, car j’y ai passé beaucoup d’étés de mon enfance. Les rochers, les pinèdes, la lumière ont quelque chose de très spécial et je souhaitais restituer cette ambiance si méditerranéenne dans le film.

En Espagne, il y a une nouvelle génération de réalisatrices dont vous faites partie : Carla Simón, Arantxa Echevarría, Belén Funes, Pilar Palomero. Quelle est votre relation ?

On s’entend très bien. Nous sommes très amies et on aime s’entraider, se donner des conseils et échanger sur nos projets cinématographiques. Il y a comme une sorte de sororité et beaucoup de respect entre nous. Nous ne nous voyons pas comme des rivales. En tant que femmes réalisatrices, nous sommes conscientes que le gâteau à partager est petit. Notre but est de le faire plus grand pour encore mieux le partager. Pour nous, le succès de l’une d’entre-nous est le succès de toutes. Je me sens très accompagnée, d’autant que dans le groupe, nous sommes plusieurs à être catalanes.

Est-ce que des réalisatrices comme Isabel Coixet ou Icíar Bollaín ont été des références importantes pour vous ?

Oui, même si par le passé, je n’en ai pas été consciente. Je n’ai jamais manqué un film d’Isabel Coixet. J’ai toujours profondément j’admiré son travail. Le fait de voir qu’elle faisait du cinéma, c’était une façon de me dire que c’était possible…C’est très important. D’ailleurs, Isabel a été toujours très généreuse avec nous toutes, elle nous a toujours bien conseillées et guidées et nous a même fait rencontrer les bonnes personnes.

Crédits photos : Clara Roquet © Epicentre Films

Retrouvez ici notre chronique du film Libertad


FICHE DU FILM


Affiche du film Libertad de Clara Roquet
  • Titre original : Libertad
  • De : Clara Roquet
  • Avec : María Morera, Nicolle García, Vicky Peña, Nora Navas
  • Date de sortie : 6 avril 2022
  • Durée : 1h 44 min
  • Distributeur : Epicentre Films