C’est l’histoire d’une photo de famille rongée par le temps et retrouvée fortuitement au fond d’un tiroir. Après l’avoir soigneusement examinée, puis effectué des recherches biographiques, on finit par identifier une à une les différentes silhouettes immortalisées. Chaque ancêtre a maintenant un nom et sa mémoire se perpétue à travers nos yeux. Pourtant, malgré tous nos efforts, un visage échappe encore à nos investigations. Étrangement, lorsque nous interrogeons celles et ceux susceptibles de nous éclairer, leurs regards se dérobent inexorablement…. Ce fantôme sur la photographie, c’est le peuple Selk’Nam, le membre oublié de la grande famille du Chili, enterré sous une Histoire écrite par les vainqueurs et qu’on finit par ne plus voir… Pour échapper à sa propre culpabilité ?


Un devoir de mémoire

Avec Nous, les Selk’Nams, Carlos Reyes et Rodrigo Elgueta se livrent à une enquête historique et sociologique qui parcourt les nombreux chemins menant à la mémoire de ce peuple disparu. Un devoir de mémoire nécessaire, qui s’écrit aussi à l’échelle d’une nation. Longtemps occultée du grand roman national, l’extermination des Selk’Nams, a été qualifiée en 2003 de génocide par la « commission pour la vérité historique et un nouveau traitement des peuples indigènes » instituée par le gouvernement chilien de l’époque.

Mais que s’est-il réellement passé ?

Un génocide au nom de l’argent et du « progrès »

Loin de l’image d’Épinal véhiculée par les premiers conquistadors, la colonisation de l’Amérique du Sud fut un processus long… mais tout aussi sanglant.

Au milieu du XIXème siècle, la Patagonie argentine et chilienne sont encore des terres vierges sur lesquelles vivent librement les peuples Yamanas, Koweskar et Selk’Nams. À partir de 1880, les propriétaires terriens, britanniques pour la plupart, amorcent la colonisation des terres des Selk’Nams. Les plaines sont alors clôturées pour y élever des moutons dont la viande est exportée vers l’Europe. Une activité très lucrative. Ne pouvant plus continuer à chasser le Guanaco, le lama de Patagonie, les Selk’Nams brisent alors les clôtures et se nourrissent d’ovins.

En réponse, les propriétaires terriens s’organisent en milices, mandatent des chasseurs de prime et les massacrent. Estimés à 4000 en 1880, les Selk’Nams ne sont plus que 500 en 1905. Les survivants mourront peu à peu dans des missions, victimes de maladies occidentales contre lesquelles leur système immunitaire ne peut rien. Ultime infamie, certains d’entre eux seront arrachés à leur terre et exposés en Europe au sein de zoos humains. Ángela Loij, l’une des dernières Selk’Nams, étudiée plusieurs années par l’anthropologue Anne Chapman, s’est éteinte en 1974.

Extrait de la bande dessinée Nous les Selk’Nams © Éditions iLATINA

De la première rencontre de Magellan avec les mythiques Patagons aux témoignages de Lucas Bridges, un pasteur anglican qui vécut parmi les Selk’Nams, des travaux du jeune curé et anthropologue allemand Martín Gusinde au début du XXème siècle à ceux d’Anne Chapman dans les années 60 et 70, Nous, les Selk’Nams multiplie les portes d’entrées afin de nous permettre de mieux comprendre qui était ce peuple, quelle fut réellement sa destinée et comment son empreinte persiste encore aujourd’hui dans la société chilienne.

Une bande dessinée dense, foisonnante, dont le trait à la fois clair et nerveux magnifie la précision et l’âpreté du propos… Un trait qui sait aussi se montrer plus trouble et mystérieux, comme dans cet étonnant passage où le dessinateur, complètement habité par son œuvre, couche sur le papier le rêve qu’il vient de faire et dans lequel son propre esprit rencontre celui d’un des membres de ce peuple disparu.

Extrait de la bande dessinée Nous les Selk’Nams © Éditions iLATINA

INFOS ÉDITEUR


  • Titre original : Nous, les Selk’Nams
  • Langue originale : Espagnol (Argentine)
  • Date de sortie : mai 2022
  • Pages : 140
  • Prix : 24 €
  • Éditeur : Editions iLATINA