Á l’occasion de la sortie au cinéma des Sentiers de l’oubli, nous avons interviewé la réalisatrice chilienne Nicol Ruiz Benavides qui revient sur la genèse et le tournage de ce drame social mettant en scène l’amour entre deux femmes d’âge mûr dans un village peu enclin à l’accepter.


Les sentiers de l’oubli relate la rencontre et l’histoire d’amour entre deux femmes mûres qui appartiennent à deux mondes très différents. Pouvez-vous nous parler de la genèse du film ?

L’idée m’est venue quand j’étais étudiante à l’Université. J’ai toujours voulu parler du droit à la liberté qu’ont les femmes plus âgées. J’ai toujours voulu savoir si toutes ces femmes adultes qui incarnent un rôle féminin édicté par la société l’ont choisi véritablement. Après, j’ai pensé à ma propre liberté et comment je me suis sentie moi-même rejetée par la société, complètement en dehors d’elle, avec le sentiment d’être quelqu’un de bizarre. J’ai voulu donner de l’espoir aux femmes, à celles que je connais et à celles que je ne connais pas. Et c’est comme ça que l’histoire de Claudina et du film a commencé.

Il existe un fort antagonisme entre les deux personnages principaux, Claudina, une veuve et grand-mère au caractère sage et solitaire et Elsa, une femme plus libre et moderne. Il était important pour l’intrigue du film de mettre en avant un tel antagonisme ?

Pour moi, Claudina est une femme ardente qui s’est endormie. Une femme qui a décidé de faire ce qu’on attendait d’elle. Elsa est une femme qui se montre bien plus à l’aise, mais au fond, elle éprouve les mêmes peurs que le reste des personnes lorsqu’elle sort de sa zone de confort. Toutes les deux ont des comportements différents, avec des parties visibles et d’autres occultées de leurs caractères et leurs personnalités. On peut dire qu’elles sont les deux faces d’une même pièce.

Pour moi, il était important de mettre en avant ces différences, car l’être humain est conglomérat de mille façons d’être.

Nicol Ruiz Benavides

« J’ai voulu donner de l’espoir aux femmes »

Le film est tourné à Lautaro, un petit village du sud du Chili. Pourquoi avoir choisi cette région lointaine pour le tournage ?

Je suis originaire de Lautaro. J’ai vécu là-bas les premiers 10 années de ma vie, des années qui m’ont marquée. J’ai pu observer sur place des comportements qui se sont reproduits chez d’autres personnes et à d’autres endroits. J’ai pensé que ce beau village et ses habitants étaient parfaits pour représenter le complexe caractère humain d’une façon simple.

L’opposition sociale et familiale est très présente dans l’histoire…

Oui, pour moi, c’était très important de faire le portrait de cette société rongée par l’hypocrisie. Je voulais questionner l’amour inconditionnel de la famille et montrer que même les meilleures personnes peuvent te porter préjudice.

À différents moments du film, de mystérieuses lumières apparaissent, des lumières provenant d’ovnis. Cela donne une touche inquiétante à l’histoire. Comment avez-vous eu cette idée ?

Elle vient de plusieurs idées mélangées à la réalité. D’abord, d’une observation que j’ai moi-même vécue quand j’étais à Lautaro. Après m’est venue cette idée du double discours qui existe dans nos sociétés. Il y a des choses auxquelles nous croyons fermement, comme le Dieu de la Bible, ainsi que les épisodes de la Bible elle-même, mais les personnes qui ont leur propre vérité et la défendent, on leur nie cette vérité. 

Les ovnis viennent représenter cette idée. Cette idée de quelque chose de magique, une lumière dont l’interprétation dépend de la personne qui regarde. Et finalement, pour moi, c’est comme une lueur d’espoir à la fin du chemin.

Le film a été sélectionné dans de nombreux festivals. Comment a-t-il été accueilli ?

Il a été très bien accueilli. Le film a été très apprécié par les festivals et le public en général. Cela me rend très heureuse. J’éprouve une certaine tranquillité de savoir que dans beaucoup de pays, cette histoire d’amour a touché des gens.

Comment vit le collectif LGTBI dans le Chili de nos jours ?

Le Chili doit parcourir un long chemin en matière de droits du collectif LGTBI, et je pense que comme dans d’autres pays, il y a même une régression. Certaines personnes ont la haine et véhiculent de très mauvaises intentions. Ils pensent que la haine est une opinion et qu’elles peuvent dire ce qu’elles veulent.

Au Chili, tous les jours, on tue, on viole et on agresse verbalement et physiquement les personnes du collectif LGBITQ+. En ce moment, le Senat discute du mariage pour tous. L’un des candidats à la présidence défend l’idée que le mariage est uniquement possible entre homme et femme et que les homosexuels ne peuvent pas avoir les mêmes droits. J’espère que Les sentiers de l’oubli servira à faire bouger les choses…

Quels sont tes référents cinématographiques ?

J’ai plusieurs référents sans relations entre eux…ou peut-être que oui. Je peux te citer quelques films qui m’ont profondément marqué. La guerre des boutons (1962) d’Yves Robert, Gertrud (1964) de Carl Theodor Dreyer, Harold et Maude (1971) de Hal Ashby, The hours (2003) de Stephen Daldry ou Tomboy (2011) de Celine Sciamma. Tous ces films m’ont aidée à trouver ma voie et à devenir moi-même.

Pouvez-vous nous parler de vos prochains projets ?

En ce moment, je travaille sur mon prochain long métrage, Cuando la lluvia no me toca. Le film raconte un été dans la vie d’une gamine de 7 ans. Lorsque le copain de sa mère les rejoint, l’enfant reçoit la visite d’ombres monstrueuses dans sa chambre. C’est un film sur le courage et sur l’importance de croire aux mots…

Crédits photos : Outplay films / Nicol Ruiz Cuadrado

Retrouvez ici notre chronique des Sentiers de l’oubli.


FICHE DU FILM


affiche du film Les sentiers de l'oubli
Affiche du film Les sentiers de l’oubli
  • Titre original : La nave del olvido
  • De : Nicol Ruiz Benavides
  • Avec : Rosa Ramírez Ríos, Romana Satt, Gabriela Arancibia
  • Date de sortie : 4 août 2021
  • Durée : 1h 11 min
  • Distributeur : Outplay films