À l’occasion de la seconde édition du festival Regards Satellites, nous avons interviewé Laura Citarella, réalisatrice et cofondatrice du collectif argentin El Pampero Cine. Trenque Lauquen, son second long métrage sorti l’an passé en France, déploie à l’instar des poupées russes plusieurs intrigues qui happent très vite le spectateur, subjugué par ces récits énigmatiques venus d’une petite ville proche de Buenos Aires.


Avec Mariano Llinás, Agustín Mendilaharzu, Alejo Moguillansky, vous êtes l’un des membres fondateurs de la société de production El Pampero Cine, qui promeut le cinéma indépendant en Argentine. Pour quelles raisons avez-vous créé ce groupe et quelles sont les caractéristiques de vos films ?

El Pampero Cine existe depuis toujours comme un espace de questionnement. Nous essayons de réinventer et de nous réinventer. C’est un lieu d’agitation et d’inconfort. Aucun de nous ne pense à faire des films qui ne racontent que des histoires ou qui ne reflètent que des questions de réalité. Nous nous intéressons aux formes, aux structures et aux systèmes. En ce sens, le fait de s’être rencontrés a servi de refuge pour partager nos expériences, chacun avec sa propre sensibilité, chacun avec sa propre particularité, c’est un cadre dans lequel nous nous sentons tous libres et confiants pour essayer de faire des films.

Trenque Lauquen, qui est sorti en France l’année dernière, s’inspire du personnage principal d’Ostende, votre premier long métrage, qui racontait la disparition de Laura, une botaniste déplacée dans une ville de la province de Buenos Aires, ce qui donne lieu à de nouvelles histoires mais qui gravitent toujours autour de ce personnage. Comment est née l’idée de suivre à nouveau le personnage de Laura ?

Dans les deux cas, un élément clé est apparu : un personnage qui peut regarder et entendre, capter des détails du monde et ensuite construire une fiction. Lorsque nous avons terminé le tournage d’Ostende, je pense que Laura Paredes et moi avions l’envie et l’enthousiasme pour continuer à expérimenter certains procédés. C’est pourquoi nous avons décidé d’organiser nos projets ensemble sous la forme d’une saga.

Portrait de la réalisatrice argentine de Laura Citarella

« Depuis plusieurs années, je pense aux réalisateurs italiens d’antan. Nombre d’entre eux sont d’ailleurs à l’honneur dans Trenque Lauquen »

Évidemment, les films sont très différents les uns des autres. Concrètement, parce qu’ils sont séparés par de nombreuses années et qu’au cours de ces années, non seulement nous avons tourné d’autres films et vécu d’autres expériences, mais nous avons aussi grandi, pris de l’âge et nos idées sur le personnage ou sur la fiction ont mutées. Cette courbe qui s’opère entre un film et un autre, ce personnage qui commence à Ostende en tant que spectateur du monde et qui finit à Trenque Lauquen en entrant, avec son propre corps, dans ces fictions qui l’ont tant fascinée. C’est un personnage traversé par l’histoire, par le temps qui passe.

En parlant de Laura Paredes qui tient le rôle principal dans les deux films. Qu’est-ce que cette actrice vous apporte de particulier ?

Laura est une amie, une collègue, une partenaire et quelqu’un qui a réussi à voir le film – dans de nombreux cas – plus clairement que moi. Dans l’écriture de son propre personnage, elle a réussi à trouver des choses que je n’aurais peut-être jamais trouvées. Elle a également très bien compris comment, à partir de l’écriture, nous pouvions trouver la manière de jouer ce film.

Ce travail a été une grande découverte. Par exemple, au début, lorsque nous avons commencé à filmer, j’étais un peu confuse quant à la direction de certains aspects. Plus précisément, j’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’un film dont les performances devaient être poussées vers le genre. Au fil des années, pendant le tournage, nous avons par exemple compris qu’aucun des acteurs ne convenait pour jouer le mystère, l’horreur ou le danger. Il y avait quelque chose dans la structure à laquelle nous étions parvenus, après un certain temps de travail, qui exigeait un langage plus doux, plus émotionnel, où les personnages accumulaient quelque chose de plus que l’ingénierie de la dramaturgie.

En ce sens, je dirais que le travail d’écriture avec Laura a été essentiel car plus nous avons appris à connaître notre film, mieux nous l’avons réécrit et mieux nous avons écrit les scènes. De l’écriture au tournage, ces idées ont commencé à circuler et le film, je pense, a réussi à atteindre un certain langage.

Quelles sont vos références cinématographiques ?

La liste est tellement longue qu’il m’est difficile de les citer. Je peux simplement dire que depuis plusieurs années, je pense beaucoup aux réalisateurs italiens d’antan. Nombre d’entre eux sont d’ailleurs à l’honneur dans Trenque Lauquen.

Comment voyez-vous le nouveau cinéma argentin ?

Il est difficile de dire ce que sera le nouveau cinéma argentin. Pendant des décennies, le contexte a permis des changements, des nouveautés et la coexistence de nouveaux et d’anciens cinéastes. En Argentine, ça a été très facile de filmer. Ou tout du moins, il y a eu de nombreuses possibilités offertes aux cinéastes pour inventer des mécanismes de production. Cela a été possible grâce à l’existence d’une loi sur le cinéma et d’une intention délibérée. C’était le fait de l’État, mais aussi des sociétés de production qui ont créé toutes sortes de liens avec le monde pour permettre aux films de se développer, de s’étendre et de circuler.

En ce sens, je pourrais parler d’un panorama très fertile, très vivant, avec beaucoup de force pour survivre en dépit des changements qui se sont produits dans le monde. Ces dernières années, la situation locale s’est quelque peu détériorée et les politiques agressives à l’égard de l’industrie cinématographique (qui finissent naturellement par être une attaque contre l’ensemble de la communauté) mettent en péril ce bien-être et cette identité qui, dans toute sa diversité, a réussi à quitter notre propre territoire et à se diffuser dans le monde.

Que signifie pour vous votre participation et votre présence au festival Regards Satellites, où vos films seront projetés ?

Pour nous, c’est un grand plaisir et une grande joie de faire partie de cet espace, qu’ils consacrent du temps et de l’espace à nos films. Nous aimons montrer nos films dans des espaces qui suivent des logiques similaires aux nôtres, en termes de production et de structure. De plus, ils ont réussi à combiner le fait que nous soyons – pour la première fois depuis longtemps – tous ensemble dans le même pays !

Retrouvez ici notre chronique du festival.

Crédits photos : Laura Citarella © Regards Satellites


FICHE DE L’ÉVÉNEMENT


Affiche Regards Satellites
Affiche du festival Regards Satellites (2024)
  • Titre : 2ème édition Festival Regards Satellites
  • Lieux : Cinéma l’Écran au Seine-Saint-Denis, Espace 1789 à Saint-Ouen, le Forum des images et le Grand Action à Paris, la Salamandre à Morlaix et la Cinématographe à Nantes
  • Dates : Du 27 février au 11 mars 2024
  • Avec : El Pampero Cine, Déborah Stratman, Sky Hopinka, Nelson Pereira dos Santos, Laís Bodanzky, Camilo Restrepo, Larry Clark et Skinner Myers…
  • Renseignements : Cinéma L’Écran Saint-Denis