Elle est l’une des romancières mexicaines les plus en vogue de sa génération. Directrice de la revue culturelle de l’Université Nacional Autónoma de Mexique, Guadalupe Nettel est aussi l’autrice de Le corps où je suis née, portrait tendre et émouvant d’une famille hippie. Nous rencontrons Guadalupe dans un café, un après-midi pluvieux et froid, qui pourrait bien être l’un de ceux qu’elle décrit dans son livre Après l’hiver, prix Herralde 2014. Cette Mexicaine, solaire et douce, vient de publier en France L’oiseau rare, un livre qui nous parle de maternité, de mères et d’êtres imparfaits.


Dans votre dernier roman, L’oiseau rare, vous abordez le thème de la maternité. Quelle est l’origine de ce roman ?

Je voulais juste raconter l’histoire d’une amie très proche. Tout a commencé lorsqu’elle était enceinte de 8 mois. Lors d’un contrôle de routine, elle a su que sa fille souffrait d’une grave maladie et qu’elle allait mourir dès la naissance. Si au début, la nouvelle était dévastatrice et horriblement triste, toute cette histoire est principalement devenue avec le temps une question de résilience. Parfois, dans les circonstances les plus terribles, il reste encore de l’espoir. On peut trouver une façon de renverser la situation et d’aller de l’avant. La façon dont elle et son compagnon ont géré la situation a été une source d’inspiration très importante pour moi. 

Cette histoire a beaucoup à voir avec les sujets que j’affectionne. Mes livres sont peuplés de personnages qui ne sont pas comme les autres, qui ont de défauts. C’est la beauté des êtres disruptifs ou des corps rebelles. Dans ce cas précis, c’était la naissance de quelqu’un de complètement diffèrent.

À l’heure actuelle, il y a un tabou par rapport aux maladies neurologiques, personne ne veut en parler. Quand j’ai demandé à mon amie, si discrète dans sa vie quotidienne, si je pouvais écrire son histoire, elle a accepté. Pour elle, le livre était un moyen de rendre visible la maladie de sa fille.

Dans le roman, vous recréez différents personnages : Doris, une mère terriblement malheureuse et débordée qui ne sait pas comment élever seule son fils, Alina, une mère qui découvre en pleine grossesse que sa fille souffre d’une maladie génétique et va peut-être mourir à la naissance et aussi une mère âgée qui attend avec impatience d’être grand-mère. Peut-on dire qu’il y a autant de maternités que de mères ?

Oui, complètement. C’est une des conclusions à laquelle je suis arrivée en écrivant L’oiseau rare. J’ai réalisé rapidement que de la même façon qu’il existe une diversité des corps ou une diversité en termes de genre, il existe aussi une diversité pour la maternité. Il n’y a pas qu’une seule façon d’être mère. Il n’existe pas de mère normales ou anormales. Et c’est pour cela que j’utilise beaucoup dans le livre des exemples de maternité que l’on retrouve dans la nature, parmi les animaux.

« Mes livres sont peuplés de personnes qui ne sont pas comme les autres, qui ont des défauts »

Le personnage principal, Laura, qui raconte l’histoire à la première personne, a décidé de ne pas être mère et le justifie comme une option personnelle très respectable. Pensez-vous que les femmes doivent encore se justifier lorsqu’elles font ce choix ?

Je pense que c’est surtout la famille qui pose ce type de questions. À partir d’un certain âge, les mères demandent à leurs filles quand elles vont avoir un enfant. Les sœurs aussi. Et encore avec plus d’insistance les grands-mères. Elles poussent toutes dans ce sens-là. Il y a comme une espèce de militantisme au sein même de l’entourage familial. Et le personnage de mon histoire ressent cette pression.

Dans votre livre, vous pointez du doigt la déshumanisation de la médecine et le manque d’écoute de la part des médecins envers les patients et leurs familles…

Oui, c’est un sujet que j’ai déjà traité dans Après l’hiver. Ça m’intéresse tout particulièrement car c’est quelque chose que j’ai vécu de très près. La relation entre un patient et son médecin manque la plupart du temps d’empathie. Il y a aussi, je trouve, une infantilisation du patient vis à vis de la maladie.

J’ai également l’impression qu’ils pensent que nous avons toujours besoin de certitudes et parfois, il serait bien de nous dire simplement : « Je ne sais pas véritablement comment votre fille va évoluer… » Dans cette histoire, tous les médecins étaient d’accord pour dire que le bébé allait mourir et mon amie s’était préparée à ça. Et puis, lorsqu’elle est née, ils étaient tous d’accord pour dire qu’elle ne pourrait jamais ni écouter, ni voir. Cette gamine a mis à terre une à une toutes les certitudes des médecins.

Vous avez vécu en France, étudié dans un lycée français au Mexique et poursuivi vos études supérieures en France ? Que représente la culture française pour vous ?

Pour moi, la France est mon pays d’adoption. Toute ma famille a une relation très étroite avec ce pays. Mon frère, ma mère et mon père habitent ici. J’y me sens très bien, comme à la maison. Je pense que la France a eu une influence très importante dans ma manière de voir le monde et d’apprécier la culture. Elle est également très présente dans la plupart de mes livres.

Quelles sont vos références littéraires ?

Ça a changé tout au long de ma vie. J’ai grandi en lisant de la littérature fantastique, Guy de Maupassant, Prosper Mérimée, Hoffmann… Ensuite, j’ai beaucoup lu de poésie surréaliste, j’aime bien ce côté magique des surréalistes qui partagent un univers commun avec les écrivains de littérature fantastique. J’ai commencé à lire de la littérature en langue espagnole beaucoup plus tard. En ce moment, j’ai une prédilection particulière pour Enrique Vila Matas, un auteur que je suis de très près. J’aime beaucoup les références métalittéraires que l’on trouve dans tous ses livres. Et bien sûr, Georges Perec

Je lis aussi beaucoup de littérature contemporaine et de romancières latino-américaines contemporaines comme Samantha Schweblin, Fernanda Melchor, Valeria Luiselli, Mariana Enriquez, María Fernanda Ampuero.

Crédits photos : Mely Álvarez (Portrait de Guadalupe Nettel)


FICHE DU LIVRE


Couverture de L’oiseau rare de Guadalupe Nettel
  • Titre original : La hija única
  • De : Guadalupe Nettel
  • Date de sortie : mars 2022
  • Editeur : Editions Dalva