À l’occasion de la sortie de Loup & Chien, nous avons interviewé la réalisatrice portugaise Cláudia Varejão. Elle revient sur le tournage de ce film, véritable plaidoyer en faveur de la diversité et de la tolérance et nous parle des îles, du poids de la religion, mais aussi et surtout du manque de liberté des jeunes issus de la communauté queer.


Comment l’idée de faire ce film vous est-elle venue ?

J’étais sur l’île de São Miguel aux Açores pour une résidence artistique. Dans les premiers jours de mon séjour, j’ai pu assister à une scène qui a éveillé ma curiosité. C’était un groupe des pêcheurs dotés de corps puissants, tatoués, qui nettoyaient leurs filets. C’était un environnement masculin quasi clos. Je les observais à distance et, soudain, j’ai vu un groupe de filles s’approcher. Elles étaient jeunes, jolies, portaient des robes légères et leurs visages étaient maquillés. En passant, elles m’ont souri et j’ai réalisé qu’elles étaient transgenres. J’ai pensé qu’entre les deux groupes, ça allait mal tourner. Mais au contraire, ils se sont enlacés et tout s’est bien passé. J’ai compris qu’ils et elles étaient proches, qu’ils avaient des liens familiaux. Ça a été le point de départ du film.

L’île de São Miguel fonctionne comme une métaphore de la situation d’Ana, la protagoniste principale, et de ses amis queer qui sont en quelque sorte isolés du reste du monde…

Je pense que la métaphore insulaire est valable pour tout le monde. D’une certaine manière, nous vivons tous dans un cadre fermé. Il faut en sortir pour mieux se connaître ainsi que le monde qui nous entoure. C’est de cela que parle le film. Dans un même ordre d’idée, le célèbre écrivain portugais José Saramago disait que pour connaître la vie, il faut quitter l’île…

Les scènes religieuses auxquelles participent les jeunes sont très puissantes. Pour quelles raisons était-il important de faire figurer ce point précis dans votre film ?

Pour parler de liberté, il faut également parler de son opposé, c’est-à-dire le manque de liberté à travers la religion catholique et l’omniprésence de cette réalité au Portugal. Dans Loup & Chien, j’ai voulu aborder la douleur, la place des femmes dans la société et la manque de diversité. Tous ces insulaires sont assez religieux car ils vivent largement dans la peur : celle des volcans, des catastrophes… La religion a finalement quelque chose de brutal et puissant… Et forcément, les jeunes se retrouvent toujours en conflit avec cela par rapport à leur genre.

« Je pense que la métaphore insulaire est valable pour tout le monde. D’une certaine manière, nous vivons tous dans un cadre fermé. Il faut en sortir pour mieux se connaître ainsi que le monde qui nous entoure »

Pouvez-vous nous parler du titre du film ?

Le titre original est Entre chien et loup. J’ai voulu parler des opposés et je me suis inspirée de l’idée du crépuscule, cette heure magique où surgissent les indomptés, les jeunes, le contraste entre le jour et la nuit, le féminin et le masculin, le bon et le mauvais, l’animal domestique et l’animal sauvage.

En général, tout le monde parle des contraires mais pas forcément de ce qu’il y a autour, des liens. Je pense souvent à l’écrivain et philosophe Jacques Rancière et à son livre Le maître ignorant. Il y évoque l’importance du choix. Quand on se promène dans une forêt, il y a une infinité de chemins que l’on peut prendre et on ne va finalement en emprunter qu’un. La plupart du temps, on est obligés de choisir entre les notions de bien et de mal, de correct et d’incorrect, la décision devient ainsi binaire…

Loup & Chien est une fiction qui emprunte les codes du film documentaire. Comment avez-vous travaillé avec les habitants de l’île ?

Le processus fut assez classique. Nous avons d’abord monté un casting pour trouver nos jeunes acteurs parmi les habitants de l’île. Avec ceux qui ont été retenus, toujours de manière collective, nous avons choisi un scénario. Je tenais à que ces jeunes ne soient pas des acteurs professionnels. Pour moi, c’était important qu’ils puissent parler de leur propre intimité, qu’ils deviennent narrateurs de leurs propres expériences. Pour ces adolescents, ce film a été une véritable émancipation, une sorte de retrouvailles avec cette liberté perdue.

Quels sont vos prochains projets ?

En ce moment, je travaille sur un court métrage qui s’appelle Kora. Le film s’intéresse à un groupe de femmes réfugiées qui ont des parcours de vie très différents : certaines fuient la guerre, d’autres se sont réfugiées au Portugal en raison de leur genre. Je leur ai demandé de m’apporter une photo de quelqu’un qu’elles aiment. Au Portugal, mais aussi ailleurs, c’est très courant d’avoir sur soi, dans son portefeuille, une photo de la ou des personnes que l’on aime. Je souhaite raconter l’histoire de ces femmes à travers ces portraits qu’elles gardent sur elles. Sinon, je travaille également sur un film en France, mais je ne peux pas encore en parler car j’en suis à peine au tout début…

Retrouvez ici notre chronique du film Loup & Chien

Crédits : photo principale, Cláudia Varejão © Epicentre Films


FICHE DU FILM


Affiche Loup & Chien de Cláudia Varejao (2023)
  • Titre du film : Loup & Chien
  • De : Cláudia Varejão
  • Avec : Ana Cabral, Ruben Pimenta, Cristiana Branquinho
  • Date de sortie : le 12 avril 2023
  • Durée : 1h51
  • Distributeur : Epicentre Films