Figure majeure du cinéma ibérique, Luis García Berlanga (1921-2010) a su capter comme nul autre l’essence de l’Espagne de son époque, dans toute sa splendeur, mais aussi dans toutes ses contradictions. Chroniqueur mordant d’un pays en mutation, il a bâti un univers si reconnaissable qu’un mot lui est désormais consacré : « berlanguiano ». Reconnu par la RAE (L’Académie Royale Espagnole), cet adjectif désigne un surréalisme typiquement espagnol, à la fois absurde, lucide et profondément humain. Cet automne, le Jeu de Paume rend hommage à cet inoubliable maestro à travers un cycle qui célèbre une œuvre ayant marqué de son empreinte l’histoire du septième art.


Un duo corrosif : Berlanga et Rafael Azcona

La filmographie de Luis García Berlanga raconte, à elle seule, l’histoire d’un pays tout entier. De l’Espagne franquiste, corsetée par la censure et la peur, à celle de la transition démocratique, traversée par un vent de liberté et d’insouciance, jusqu’à l’Espagne des années 1990, avide de modernité et de prospérité économique.

Impossible pourtant de comprendre pleinement l’œuvre de Berlanga sans évoquer son complice, le scénariste Rafael Azcona. Leur rencontre, au milieu des années 1950, marque un tournant décisif dans l’œuvre du cinéaste. Ensemble, ils inventent un langage : celui de la satire sociale teintée de désespoir, où la farce se mêle à la tragédie, où le grotesque devient un outil de lucidité.

Azcona, ancien dessinateur et écrivain issu de la presse satirique, apporte à Berlanga ce regard corrosif sur les petites mesquineries du quotidien. Une ironie aussi tendre que cruelle qui deviendra leur signature commune. De Plácido (1961) à El verdugo (1963) tout en passant par La escopeta nacional (1978), le tandem construit un univers peuplé de petits fonctionnaires, de notables véreux et de rêveurs désabusés, tous prisonniers d’un système absurde qu’ils alimentent malgré eux.

Image du film Bienvenido Mister Marshall
Image du film Bienvenido Mister Marshall © Tamasa Distribution

Le Billy Wilder espagnol au Jeu de Paume

Pendant près de trois semaines, le Jeu de Paume déroule le tapis rouge à Luis García Berlanga, maître de la satire et du chaos organisé. L’occasion idéale de (re)découvrir une filmographie foisonnante signée par celui que de nombreux critiques surnomment le Billy Wilder espagnol.

En effet, tous deux partagent ce goût du sarcasme élégant, du tragique lové derrière le rire, et cette capacité à révéler les travers d’une société sans jamais se départir de tendresse pour leurs personnages. Mais là où Wilder s’appuie sur l’efficacité du scénario et la mécanique du gag, Berlanga préfère le chaos orchestré, les dialogues en cascade et des plans-séquence où tous les personnages, débordant d’énergie, parlent en même temps.

Image du film La escopeta nacional
Image du film La escopeta nacional / © Luis Garcia Berlanga. Courtesy A contracorriente films

Au programme de ce cycle, des conférences sur l’œuvre de Berlanga ainsi que des projections de ses films les plus emblématiques. Parmi ceux-ci, Le Verdugo (1963), chef d’œuvre du cinéaste et puissant plaidoyer contre la peine de mort ; Bienvenido Mister Mashall (1953), portrait satirique de l’Espagne de l’après-guerre qui a été présenté à Cannes ; Esa pareja feliz (1951), critique acérée de la société de consommation naissante ; Placido, célèbre pour son mythique plan-séquence (1961) ; ou encore Paris Tombuctú (1999), son dernier film dans lequel le protagoniste est campé par un Michel Piccoli en forme étincelante.

À noter que le cycle s’attarde également sur une constellation de cinéastes, héritiers de Berlanga, qui ont fait de la comédie un médium privilégié dans l’expression de la critique de la société.

Crédits photos : Bienvenido Mister Marshall – Tamasa Distribution (photo de couverture)


INFORMATIONS PRATIQUES


Affiche du Cycle Luis García Berlanga. Rires féroces pour une Espagne noire
Affiche du Cycle Luis García Berlanga. Rires féroces pour une Espagne noire
  • Titre : Luis García Berlanga. Rires féroces pour une Espagne noire
  • Dates : du 18.11.2025 au 07.12.2025
  • Adresse : 1, place de la Concorde 75001 Paris
  • Lieu : Jeu de Paume