Après Chasseurs de truffes, un film qui prenait place dans les profondeurs de la forêt du Piémont en Italie, les réalisateurs américains Michael Dweck et Gregory Kershaw signent avec Les cavaliers des terres sauvages un superbe documentaire consacré aux mythiques cavaliers argentins des grandes plaines, les gauchos. Une formidable occasion de mieux connaître cette communauté profondément attachée à sa terre.
Comment vous êtes-vous intéressés au monde des gauchos et avez-vous décidé de leur consacrer un film ?
Notre intérêt pour les gauchos vient d’une curiosité de longue date pour les communautés qui conservent leur identité malgré l’assaut de la modernité. Nous avons toujours été attirés par les personnes qui vivent selon des rythmes restés intacts depuis des générations, et dont la relation à leur environnement façonne leur vision du monde. Au fil des années, nous avons travaillé et vécu dans cette région du monde, fascinés par la mythologie du gaucho. Ce film a été pour nous l’occasion d’explorer et de célébrer la vie des véritables personnes qui se cachent derrière cette mythologie.
Les gauchos de la région de Salta ont réussi à préserver leur mode de vie en marge de la société moderne. Quels sont les principaux défis auxquels ils font face aujourd’hui ?
Les gauchos de Salta vivent à un carrefour complexe. D’un côté, il y a leur profonde tradition — l’élevage, le chant, l’équitation, la narration — et de l’autre, les pressions du monde contemporain : les changements climatiques, l’évolution de l’usage des terres et l’attrait croissant pour la technologie et la modernité.
L’un de leurs plus grands défis est le changement environnemental, dont nous avons vu les multiples impacts sur leur vie. La région a toujours été aride et les bouleversements météorologiques rendent l’accès à l’eau, indispensable pour vivre et nourrir le bétail, encore plus difficile. Wally, l’un des gauchos que nous avons filmés, nous a raconté que les condors attaquent désormais le bétail — ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Ce détail en dit long sur l’évolution des écosystèmes.
Il y a aussi la question de la continuité culturelle. La jeune génération, comme Guadalupe dans le film, souhaite perpétuer la tradition tout en affrontant de nouvelles opportunités — l’école, la technologie et la possibilité de migrer vers la ville. La question devient alors : comment rester fidèle à une tradition tout en s’ouvrant au monde moderne ?
Vous avez travaillé avec une équipe de production entièrement argentine — était-ce essentiel pour vous ?
Oui, absolument essentiel. Nous travaillons toujours avec une équipe locale sur nos films, car elle apporte des connaissances et une compréhension culturelle qui nous aident à établir des liens solides avec les communautés que nous filmons. Elle nous apporte aussi une expérience précieuse pour affronter les défis uniques du tournage dans les lieux reculés où nous avons travaillé. À bien des égards, notre équipe locale est bien plus qu’une somme de simples collaborateurs : elle est un pont entre le monde du film et nous.

« Nous voulions que le spectateur ait l’impression d’entrer dans un monde hors du temps et qu’il s’imprègne peu à peu d’un autre rythme de vie et d’une nouvelle manière de voir le monde… »
Comment s’est passée votre première rencontre avec Guadalupe, la jeune femme déterminée à devenir gaucho ?
Notre première rencontre avec Guadalupe, ou Guada, a été un tournant. Nous étions d’abord venus à Chicoana, la communauté où elle vit, pour rencontrer son père, Tati Gonza, une véritable légende dans le monde des gauchos. Lors de cette première rencontre, Guada était présente et Tati s’est gentiment effacé en nous disant que c’était elle qui devait être au centre de notre film. En commençant à tourner avec elle, nous avons rapidement compris pourquoi : en traçant sa propre voie en tant que gaucha, elle bouscule les conventions d’une culture dominée par les hommes. Son parcours demande un courage et une persévérance immenses et nous avons vite su qu’elle deviendrait l’un des cœurs émotionnels du film.
Pourquoi avoir choisi de tourner en noir et blanc ?
Le choix du noir et blanc est né de l’expérience même du tournage. Chaque décision que nous prenons vise à refléter ce que nous ressentons sur le moment et à partager cette sensation avec le public. Le monde des gauchos semblait suspendu entre rêve et réalité et l’absence de couleur mettait cette dimension en avant. Nous voulions que le spectateur ait l’impression d’entrer dans un monde hors du temps et qu’il s’imprègne peu à peu d’un autre rythme de vie et d’une nouvelle manière de voir le monde.
Filmer les gauchos, c’est aussi capturer les vastes plaines, les montagnes et surtout les chevaux. Certaines scènes de rodéo et de course sont particulièrement impressionnantes… Comment les avez-vous abordées ?
Capturer la puissance des chevaux et l’immensité des paysages nous a forcés à repenser notre manière d’utiliser la caméra. Nous voulions que le public ressente à la fois le poids du paysage et le pouls de l’animal, et qu’il vive la fusion entre l’homme et le cheval propre à ces cavaliers d’exception.
Pour filmer les chevaux au galop, nous avons décidé d’utiliser une voiture équipée d’une caméra à grande vitesse qu’il a fallu transporter sur un camion-plateau pendant 25 heures à travers le pays. Ce dispositif nous a permis de suivre les chevaux à vive allure sur des terrains souvent dangereux, afin d’offrir au spectateur une expérience à la fois viscérale et presque opératique.
Qu’avez-vous appris des gauchos et qu’est-ce qui vous a le plus marqués ?
Les communautés de gauchos avec lesquelles nous avons passé du temps sont profondément connectées : à la terre, aux traditions du passé, à la nourriture qu’ils consomment, à leur famille et à la communauté physique qui les entoure. Ce sont des liens qui étaient autrefois abondants pour les humains sur cette planète commune, mais qui sont désormais devenus rares.
La technologie et la modernité ont effacé une grande partie de ce qui donne sens à la vie pour beaucoup d’entre nous aujourd’hui. Être dans un endroit où ces liens sacrés demeurent forts et vivants est un rappel de la beauté et de la richesse possibles de la vie humaine.
Retrouvez ici notre critique du film Les cavaliers des terres sauvages.
Crédits photo principale : Portrait Michael Dweck © Henry Leutwyler / Portrait Gregory Kershaw © Clément Morin