À l’occasion de la sortie de Je tremble, ô matador, nous avons rencontré le réalisateur Rodrigo Sepúlveda Urzúa. Dans cette interview, le cinéaste chilien évoque la découverte du roman de Pedro Lemebel qui a inspiré le film et qui marqué à l’époque de sa parution tout un pays. Il revient également sur sa collaboration avec le grand Alfredo Castro qui interprète le rôle principal ainsi que sur le tournage du film qui situe l’action en pleine dictature militaire.   


Votre dernier film, Je tremble, ô matador, qui raconte la vie d’un travesti sous la dictature de Pinochet, s’inspire du roman de l’activiste chilien Pedro Lemebel. Pour quelles raisons avez-vous choisi d’adapter ce roman au cinéma ?

J’ai toujours pensé que ce roman pourrait faire un excellent scénario. La première fois que je l’ai lu, j’ai eu très rapidement l’impression d’assister à la projection d’un film. Mais le véritable déclencheur s’est produit lorsque j’ai réalisé que les progrès de la société chilienne en matière de droits de la communauté LGTB+ trouvaient an grande partie leur origine dans le combat que Pedro Lemebel a engagé dans les années quatre-vingt.

Dès le départ, vous avez pensé à Alfredo Castro pour interpréter le rôle de La Loca ?

À vrai dire, je ne me suis même pas posé la question. Pedro Lemebel, avant sa mort, avait déjà exprimé son souhait de faire appel à Alfredo pour incarner La Loca. Et puis nous nous connaissons très bien. Nous avons fait ensemble la version chilienne de la série En thérapie ainsi que d’autres projets pour la télévision. Pour moi, il était clair que le meilleur acteur pour ce rôle, c’était lui.

« Cette histoire d’amour fonctionne et est intéressante dans la mesure où elle se déroule dans le contexte de la dictature »

Comment avez-vous préparé le rôle avec lui ?

Le plus important a été de se mettre d’accord avec Alfredo sur la construction du personnage de La loca. Dès les premiers rendez-vous, nous étions tous les deux d’accord sur ce que nous ne voulions pas faire, c’est à dire une folle folklorique ou bien tomber dans le cliché de la pauvre folle kitch. Après réflexion, nous avons réalisé que La loca est habitée par différents personnages : celle qui se prostitue, celle de femme au foyer, celle de mélomane, celle de timide et bien sûr celle du travesti solidaire. C’est à partir de tous ces ingrédients que nous avons créé le personnage.

Je tremble ô matador est un film à caractère historique, mais c’est aussi une histoire d’amour entre deux hommes. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ces deux thématiques ?

Je pense que cette histoire d’amour fonctionne et est intéressante dans la mesure où elle se déroule dans le contexte de la dictature. Les deux personnages principaux, le travesti et le guérillero, vivent chacun de leur côté, cachés, de façon clandestine… Ils évoluent en quelque sorte dans deux mondes parallèles. Dans la sphère publique, ils sont contraints de faire semblant et d’être ce qu’ils ne sont pas. C’est seulement dans la sphère privée qu’ils s’autorisent à vivre une histoire d’amour. Dans ce film, l’amour et la politique sont intimement liés et sont nécessaires au récit.

La bande originale du film (Peggy Lee, Diego El Cigala, Lola Flores, Paloma San Basilio, Chavela Vargas…) est très puissante et participe de manière importante à la narration…

Le titre du roman en espagnol, Tengo Miedo Torero, est aussi le titre d’une chanson espagnole des années cinquante très connue. Cette chanson a été le point de départ de nos recherches et a donné le ton du reste de la musique du film. Pour nous, c’était aussi très important de mettre l’accent sur la radio, un media incontournable pendant la dictature. Pendant ces années sombres, les chansons de la radio ont accompagné le quotidien des Chiliens, mais nous voulions surtout mettre l’accent sur les paroles de ces chansons et sur la façon dont elles ont été perçues et interprétées par les auditeurs. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, utiliser certains mots comme, par exemple, « solidarité » pouvait être réprimé par le gouvernent militaire.

Comment avez-vous tourné les scènes des manifestations contre Pinochet ?

Ces scènes ont été enregistrées dans le centre de Santiago. Les figurants qui y ont participé sont tous militants de partis de gauche, la plupart issus de la mouvance communiste. Il y a également des figurants venant de troupes de théâtre populaire. Pour ce qui est des femmes enchaînées au Congrès national, que l’on peut voir dans ces scènes, elles font partie des familles de disparus et sont encore à leur recherche.

Comment le public et la société chilienne ont accueilli le film ?

Je tremble, ô matador, a été tourné à peine quelques mois avant les révoltes sociales au Chili. Au moment de la sortie en salle, les militaires avaient de nouveau pris les rues. Un couvre-feu a alors été instauré par le gouvernement et il y a eu des centaines de blessés. Pendant les manifestations, Pedro Lemebel a resurgi comme un symbole de résistance. Le film a été très bien reçu par le public. Nous l’avons sorti en streaming en pleine pandémie de Covid et plus de cent milles entrées ont été vendues.

Crédits photos : Rodrigo Sepúlveda Urzúa © Outplay Films

Retrouvez ici notre chronique du film Je tremble, ô matador


FICHE DU FILM


Affiche du film Je tremble, ô matador
  • Titre original : Tengo miedo torero
  • De : Rodrigo Sepúlveda Urzúa
  • Avec : Alfredo Castro, Leonardo Ortizgris, Julieta Zylberberg
  • Date de sortie : le 15 juin 2022
  • Durée : 1h 33 min
  • Distributeur : Outplay Films