Depuis une quinzaine d’années, cet ensemble de dix musiciennes françaises et argentines trace son propre sillon dans les terres ultra-codifiées du tango. Des codes qu’elles maîtrisent sur le bout des doigts, mais qu’elles parviennent à déconstruire magistralement avec un insolent talent. Faisant suite à l’impeccable A Contrafuego (2016), Tangos en Aleph, leur quatrième album studio, ouvre en grand le champ des possibles en convoquant une kyrielle d’invités prestigieux comme Tomás Gubitsch, Minino Garay, Aureliano Marín et Melingo.


Les Fleurs Noires ou le tango au féminin

C’est un fait aussi fondamental que parfaitement anecdotique : les Fleurs Noires sont des femmes.

Dans un univers artistique originellement dominé par les hommes et dans lequel les femmes, reléguées à un simple objet de passions, n’ont longtemps pas eu droit de cité, la création d’un ensemble exclusivement féminin a valeur de symbole. Un symbole fort, pour ne pas dire fondamental.

Pour autant, si l’on ne parle que de musique, cette dimension symbolique a-t-elle encore une portée ? À notre sens, non. Qu’elle soit produite par des femmes ou des hommes, là n’est plus la question. D’une puissance rare, la musique des Fleurs Noires se suffit largement à elle-même. Peu importe qui la joue, elle est au firmament.

Tangos en Aleph ou l’art de la tension

Dès les premières mesures de Martillo para las brujas, le ton est donné. Sur des accords de bandonéon crépusculaire ponctués de subtiles touches de guitare, Aureliano Marín pose sa voix d’ange déchu… Puis, tout s’accélère. Un piano percussif entre en scène et martèle implacablement le tempo avant d’être rejoint par un maelstrom de cordes qui s’ébattent entre harmonies et ruptures, dessinant ainsi ensemble des paysages empreints d’une incroyable tension. Comme sidérée par la violente beauté de ce tableau musical, la voix d’Aureliano Marín change brutalement de registre, passant du chant à la diction.

Martillo para las brujas a la beauté d’une étoile qui s’effondre sur elle-même, un spectacle fascinant duquel on ne peut se résoudre à détourner les yeux en dépit du danger.

Clip de Martillo para las brujas de Fleurs Noires (2022)

El Aleph s’inscrit dans un même registre, tout en clairs-obscurs, échafaudant un véritable dédale d’harmonies et de dissonances qu’un Melingo halluciné, déclamant les vers de Jorge Luis Borges, arpente à pas de loup. Saisissant.

D’un Mountangos de Panurgo aux harmonies oniriques et pastorales à un Cegadora Margarita à la pulsation jazz bien affirmée, Tangos en Aleph nous révèle des alchimies tangueras inédites, un véritable horizon des événements au-delà duquel les sacro-saintes lois du tango se décomposent en autant de particules élémentaires.

« Ici, j’explore et propose des formes libres, de nouveaux timbres, de nouvelles possibilités d’expression et d’improvisation, ainsi que des procédés, matériaux et développements provenant d’autres univers musicaux comme la musique expérimentale, le post-minimalisme, le jazz, tout en partant de mes propres racines tangueras » nous dit ainsi la compositrice Andréa Marsili.  

Un album qui vous permettra de constater par vous-même que les Fleurs Noires sont bel et bien l’un des objets célestes les plus atypiques et les plus brillants de la galaxie tanguera. Écoutez-le ici.

Notez également que les Fleurs Noires seront sur scène le 20 octobre prochain au 360 Paris Music Factory dans le cadre du festival Jazz sur Seine.


FICHE ALBUM


Fleurs Noires – Tangos en Aleph (2022)
  • Titre : Tangos en Aleph
  • Artiste : Fleurs Noires
  • Date de sortie : 26 Août 2022
  • Label : Paraty