On aurait pu converser pendant des heures, tant son univers est riche et sa passion pour le cinéma immense. Rencontrer Jonás Trueba, c’est un peu comme aller voir l’un de ses films. En sortant de la salle, on est pris par mille idées, des bribes de conversations, la nécessité de voir d’autres films, trouver des idées de lecture, appeler ses amis pour satisfaire un besoin pressant de les voir ou encore écouter ce guitariste que l’on vient tout juste de découvrir. Dans Venez voir, Jonás Trueba filme la vie en toute simplicité, celle qui défile tous les jours devant nos yeux et qui, pourtant, parfois nous échappe…


Venez voir est un film qui se déroule juste après le confinement et qui met en scène deux couples d’amis qui se retrouvent après une longue période sans se voir…Quelle fut la genèse du film ?

L’idée m’est justement venue de cette situation que nous avons tous traversée quand nous étions enfermés dans nos maisons. Pendant cette période, je me suis demandé à plusieurs reprises comment cela allait influencer notre quotidien, mais aussi comment cela allait impacter la manière de faire du cinéma. J’ai tout de suite réalisé que je voulais faire un film qui permettrait, en quelque sorte, de retrouver notre envie de vivre.

C’était en 2020 et tout était encore très fragile. Surtout, pendant les tournages, il y avait des protocoles covid à mettre en place. J’ai l’habitude de faire des films avec des équipes réduites, mais cette fois-ci, il fallait que nous réduisions encore davantage : quelques acteurs, une petite équipe technique et peu de jours de tournage. C’est de toutes ces contraintes qu’est né Venez voir.

Dans le film, il y a une certaine nostalgie, un sentiment de tristesse consécutif à ces mois difficiles. De mon côté, j’étais très affecté car je venais tout juste de perdre deux amis chers. Lorsque nous avons commencé à tourner, nous avons ressenti quelque chose de très spécial.

Pour moi, faire du cinéma avec quatre acteurs, une équipe technique de douze personnes et seulement huit jours de tournage était parfaitement envisageable. J’aime ce type de cinéma très minimaliste au regard des moyens de production, tout est à une échelle plus petite, à taille humaine et ça se ressent dans le résultat final.

La fausse prémisse du film, ce serait que vaut-il mieux, vivre en centre-ville ou à la campagne ? En réalité, je n’ai pas de réponse…. Je souhaitais aborder cette insatisfaction qui nous envahit parfois sur notre façon de vivre et sur l’endroit où nous vivons.

Lors de ces premières retrouvailles, un coup de froid se produit lorsque le premier couple explique au second qu’ils sont ravis d’avoir déménagé à la campagne et qu’ils attendent un enfant…

Même avant le confinement, j’avais beaucoup d’amis qui quittaient le centre de Madrid pour se mettre au vert. Ils me disaient toujours de venir les voir, mais je ne trouvais jamais le temps de m’y rendre. Le film parle aussi avec humour de la paresse qui nous gagne parfois lorsque l’on doit se rendre chez les autres.

Jonás Trueba / © Arizona Films

« J’aime ce type de cinéma très minimaliste au regard des moyens de production, tout est à une échelle plus petite, à taille humaine et ça se ressent dans le résultat final »

Dans la plupart de vos films, vous travaillez avec les mêmes acteurs. Là, vous avez fait appel à Itsaso Arana, Francesco Carril, Vito Sanz et Irene Escolar. Cette dernière est votre unique nouvelle recrue…

Pour moi, c’est naturel de souhaiter travailler avec des acteurs qui sont en même temps des amis. On peut dire que je travaille devant et derrière la caméra avec des êtres chers : mon directeur de la photographie, ma monteuse, mon directeur artistique… Mais ce sont tous de grands professionnels ! Nous avons une grande confiance les uns dans les autres, ce qui est très important pour se lancer dans le type de films que nous faisons.

J’affectionne tout particulièrement cette idée de répétition dans mon cinéma. J’aime beaucoup filmer les mêmes acteurs dans différents films, dans des situations différentes ou semblables et même les voir vieillir… D’ailleurs, j’aime aussi beaucoup filmer les mêmes lieux car ils ne sont finalement jamais pareils. Le cinéma me sert à capturer tous ces changements… Pour moi, c’est l’essence même du cinéma.

Les dialogues du film, d’un grand naturel, sont particulièrement réussis. Comment vous y êtes-vous pris pour le scénario ? Aviez-vous tout écrit avant le tournage ou aimez-vous l’idée de travailler sur le tas ?

J’aime l’idée de travailler sur le tas. Dans mes films, toute l’équipe participe, on travaille tous ensemble. Pour moi, le scénario est toujours ouvert, c’est un processus d’écriture qui se nourrit au fur et à mesure du tournage. Au final, on écrit avec les acteurs, avec la caméra, la lumière, les vêtements, les sons. Le cinéma même est un processus d’écriture qui se construit à la lumière de tous ces éléments. De notre côté, nous travaillons à partir de notre réalité, nous nous inspirons de nous-même pour créer des petites fictions et aborder des doutes, des situations, des états d’âme…

Dans vos films, la musique occupe une place très importante. Venez voir commence ainsi par un morceau du pianiste gaditain Chano Domínguez. Plus tard, on croise la chanson Let’s move to the country de Bill Callahan. Comment les avez-vous choisis ?

Je dirais plutôt que c’est la musique qui me choisit, qui vient à moi. Je ne suis pas un super mélomane mais j’ai une relation intense avec la musique. De façon très naturelle, elle me sert de source d’inspiration pour mes films. Elle est même très souvent mon inspiration principale. Parfois, en écoutant une chanson ou un morceau, il m’arrive de vouloir transposer au cinéma ce que je ressens. À tel point qu’on pourrait même dire que mes films sont des adaptations de chansons. La musique c’est quelque chose qui me vient en premier et non l’inverse…

Lorsque j’ai écouté Limbo, la chanson de Chano Domínguez, j’ai immédiatement su que mon film allait parler de ça, de cette idée de limbes. Nous l’avons même convaincu de venir jouer dans le film. Pour la chanson de Bill Callahan, c’est un peu pareil, elle m’a accompagné tout au long de cette période. Let’s move to the country m’a aidé à trouver le sens de l’humour du film. En revanche, la mélancolie qui se dégage de Venez voir vient plutôt de la pièce de Chano. Au milieu, il y a des morceaux plus instrumentaux, notamment du guitariste Bill Frisell que j’aime tout particulièrement et qui m’ont aidé à nuancer le ton du film.

En plus de la musique, les livres font aussi partie du film. Ainsi, Tu dois changer ta vie de Peter Sloterdijk y apparait à plusieurs reprises. Pour quelles raisons avez-vous choisi de mettre en avant ce livre ?

Oui, ce livre devient quasiment un personnage à part entière du film. C’est un livre que j’ai acheté deux ans avant la pandémie et que j’étais en train de relire. J’aime beaucoup car c’est le genre d’ouvrage que l’on n’arrive pas à saisir d’un coup. Il est très riche et véhicule beaucoup d’idées. Il finit par apparaitre dans le film d’une façon quasi comique, comme une parodie…

De la même façon que j’aime rencontrer mes amis, j’aime beaucoup lire, c’est une vraie nécessité et j’aime aussi que les livres soient présents dans mes films. Quand quelqu’un me dit qu’il a lu tel ou tel livre parce qu’il l’a connu à travers l’un de mes films, je trouve ça génial.

Le film, à l’instar de son titre, est une invitation à aller au cinéma… mais aussi une célébration de la vie et de ces petites choses qui la rendent si spéciale : l’amitié, les livres, l’art, les concerts, une simple promenade à la campagne…

Pour moi, le film est délibérément humble et réalisé en toute simplicité. Je voulais offrir au public une sorte d’expérience et qu’elle soit la plus limpide possible. L’idée, c’était de montrer qu’avec très peu d’éléments à disposition, on peut réaliser un film.

Crédits photos : Jonas Trueba © Arizona Films

Retrouvez ici notre chronique du film Venez voir


FICHE DU FILM


Affiche du film Venez voir de Jonás Trueba (2023)
  • Titre original : Tenéis que venir a verla
  • De : Jonás Trueba
  • Date de sortie : le 4 janvier 2023
  • Avec : Itsaso Arana, Vito Sanz, Irene Escolar, Francesco Carril
  • Durée : 1h04 min
  • Distributeur : Arizona Distribution