À l’occasion de la sortie de son nouveau film, El buen patrón, qui a remporté 6 prix Goyas, nous avons rencontré le réalisateur Fernando León de Aranoa. Avec cette comédie sociale décapante incarnée par un Javier Bardem en état de grâce, le Madrilène signe un contre-plan parfait de Les lundis au soleil. Il revient ainsi sur le tournage de ce film tourné en pleine pandémie et évoque les relations de pouvoir au sein de l’entreprise ainsi que sa troisième collaboration avec son acteur fétiche. 


Près de 20 ans après Les lundis au soleil, vous retournez dans le monde du travail, cette fois-ci pour explorer les tenants et les aboutissants d’une petite entreprise de province dont le propriétaire et directeur agit comme un maître et seigneur. Comment est née l’idée de réaliser ce film ?

C’est un univers qui m’intéresse tout particulièrement. J’ai toujours aimé les films qui situent l’action dans la sphère du travail. Ce sont des endroits très riches pour la création de personnages, où il existe des relations de pouvoir et une hiérarchie préétablie.

Les lundis au soleil a vingt ans et j’avais envie de reprendre le sujet, mais avec un angle d’attaque diffèrent. Si dans Les lundis au soleil, les protagonistes sont des travailleurs qui se retrouvent au chômage suite à la fermeture des chantiers navals de leur ville, je souhaitais ici explorer le revers de la médaille et raconter une histoire du point de vue de l’entrepreneur. J’ai pensé qu’il serait intéressant de compter à nouveau avec Javier Bardem pour le rôle principal. Il avait campé à merveille Santa, le protagoniste de Les lundis au soleil et j’étais persuadé qu’il serait parfait pour incarner Julio Blanco. Tous deux sont des personnages puissants et charismatiques avec des idées très arrêtées sur la vie.

Quant à la première idée du film, elle m’est venue il y a environ une douzaine d’années, avec le personnage principal. À cette époque, j’ai commencé à imaginer un patron qui s’immiscerait dans la vie de ses employés pour parvenir à ses fins. Un genre de situation à la fois terrible et très comique.

Avez-vous construit le personnage de monsieur Blanco en pensant à Javier Bardem ou est-ce quelque chose que vous avez décidé une fois le scénario terminé ?

En général, lorsque je suis en train d’écrire un scénario, j’évite de penser à quelqu’un en particulier. Je me laisse juste porter par l’écriture. Ça a surement quelque chose à voir avec ma formation. À la base, je suis scénariste. Un scénariste consacre son temps à construire l’histoire mais ne pense pas aux acteurs qui vont interpréter les rôles. C’est plutôt au réalisateur ou au producteur de décider de ce point.

Pour moi, cette façon de faire a du bon pour l’histoire mais aussi pour les acteurs qui vont interpréter les rôles. C’est bien de leur proposer des choses très différentes de celles qu’ils ont l’habitude de jouer et ils le font très bien. En ce sens, cette liberté totale dans le processus d’écriture est très importante.

« Javier a fait un véritable travail de composition avec ce rôle »

Qu’est-ce que cela fait de travailler avec un des plus grands, comme Javier Bardem ? Et qu’a-t-il apporté au personnage ?

Avec Javier, c’est déjà notre troisième film et ça se ressentait pendant le tournage. Nous nous connaissons très bien et arrivons à nous comprendre très rapidement. Nous avons une confiance aveugle dans nos façons respectives de travailler et c’est un avantage énorme. Ça nous permet de risquer et d’explorer davantage dans la construction d’un personnage.

Javier a fait un véritable travail de composition avec ce rôle. C’est un personnage facilement reconnaissable, tout le monde a déjà croisé un patron de ce genre une fois dans sa vie. Mais en même temps, il a quelque chose de très singulier. Le plus difficile était de bien moduler toutes ces nuances afin que Julio Blanco reste le même à chaque plan du film. Après, c’est lors du montage que le réalisateur doit bien choisir ses prises pour que le personnage reste cohérent avec des traits de caractère qui reflètent une personnalité au plus près de la réalité. J’aime particulièrement cette étape du film et j’ai consacré beaucoup de temps au montage dEl buen patrón.

Contrairement au film Les lundis au soleil, qui est un drame, El buen patrón est une comédie sociale dans laquelle il y a beaucoup de satire. Pour quelles raisons avez-vous plutôt opté pour l’humour afin de raconter cette histoire ?

Dès le départ, au moment de l’écriture, j’ai réalisé que le ton du film se situait à mi-chemin entre drame et comédie. Dans cette histoire, la singularité vient de la cohabitation de différents genres dans une même scène. Pour moi, le pari était de faire en sorte que les scènes les plus objectivement dramatiques deviennent les plus comiques. C’était quelque chose d’inhérent à la narration. Après, il fallait que cette cohabitation que j’avais matérialisée dans le scénario fonctionne aussi pendant le tournage.

Pensez-vous que le pouvoir corrompt toujours ou peut-il être exercé de manière juste et équitable ?

Le problème se pose lorsqu’une personne a du pouvoir et a besoin de quelque chose. C’est finalement ça, le sujet du film. Dans notre vie quotidienne, nous avons tous une part de pouvoir sur les autres, comme au sein de la famille ou bien évidemment dans le monde du travail. Je voulais explorer ce point. De quelles façons utilise-t-on le pouvoir dans notre vie ? Pour sa part, monsieur Blanco a choisi de se servir de son pouvoir pour parvenir à ses fins. Et il est persuadé que sa façon d’agir est tout à fait justifiée et honorable.

L’usine où se situe l’action est très bien décorée. Où le film a-t-il été tourné ?

L’équipe artistique et en particulier son directeur, César Macarrón, ont fait un travail formidable. Ils ont réussi à remettre en état de marche une ancienne usine, située dans la banlieue madrilène qui était complètement vide et abandonnée depuis des années . J’ai beaucoup aimé le bureau en hauteur du patron. De là, il voit à 360 degrés tout ce qui se passe dans l’entreprise sans même bouger de son siège. Du coup, la caméra avait aussi une amplitude de 360 degrés. Ça donne justement cette image de pouvoir, de contrôle absolu sur autrui que je souhaitais transmettre à travers le film.

Le film a remporté 6 Goyas, dont ceux du meilleur réalisateur et du meilleur acteur. Qu’est-ce que cela signifie pour vous de les avoir remportés ?

Avant, quand j’étais plus jeune et que je gagnais un prix, j’étais fou de joie et on les fêtait beaucoup avec les équipes. En vieillissant, on comprend mieux leur valeur. C’est une reconnaissance de tes collègues du cinéma, et ça, c’est unique. D’autant plus qu’un prix, c’est comme la photo-finish d’une course de fond . On sait qu’un prix est un instant éphémère dans la vie d’un film. En amont, il y a un dur labeur qui dure pendant plus ou moins deux ans.

El buen patrón a conquis la critique, mais a aussi remporté un vif succès auprès du public espagnol…

Oui, je pense que ça a beaucoup à voir avec le sujet du film. C’est un thème qui nous touche tous. Il y a aussi bien sûr le fait que ce soit une comédie. L’humour est un genre de catharsis qui va nous permettre de prendre du recul et comprendre nos problèmes et nos petites misères quotidiennes. Au sujet d’El buen patrón, un journaliste m’a fait une réflexion que j’ai trouvée très juste : « les gens rient le samedi au cinéma de tout ce qui leur arrive le reste de la semaine. » Je pense que c’est la clé du succès du film.

Crédits photos : Fernando León de Aranoa © Paname Distribution

Retrouvez ici notre chronique du film El buen patrón


FICHE DU FILM


Affiche du film El buen patrón de Fernando León de Aranoa
  • Titre original : El buen patrón
  • De : Fernando León de Aranoa
  • Avec : Javier Bardem, Manolo Solo, Almudena Amor
  • Date de sortie : le 22 juin 2022
  • Durée : 2h 00 min
  • Distributeur : Paname Distribution