Un best of ? Laissons ça aux jeunes gommeux déposant le bilan après 4 ou 5 albums pas toujours bien troussés… Là, il est question de Melingo, la légende vivante des bas fonds de Buenos Aires. Pour embrasser quarante ans de carrière dont 25 au service du tango, on parlera donc plutôt d’anthologie…Un terme qui, au regard du chemin parcouru par le chantre du lunfardo, n’a rien de galvaudé.


Punk un jour, punk toujours

Orée des années 2010, interview de Melingo à l’occasion de la sortie de son album Corazon y hueso. À n’en pas douter, l’une des interviews les plus lunaires de l’histoire de Que Tal Paris ? Ce jour là, Melingo est un vrai chaos. Les idées fusent de toutes parts, puis s’arrêtent net, balayées soudainement par une irrépressible envie de maté, une affaire à régler, une envie de pisser…

On s’accroche au fil de nos questions, ne sachant plus vraiment s’il a répondu à celle-ci quand on lui posait celle-là ou à celle-là quand on lui posait celle-ci. Déroutant. Mais pour tout dire, on s’y attendait un peu…

Il y a de la folie chez Melingo, une attitude punk née sur les scènes underground de Buenos Aires et de Madrid au carrefour des années 70 et 80. Une attitude qu’il a ensuite prise à son bras pour s’en aller danser le tango. Le tango des marginaux et des mauvais garçons…

C’est en 1997, après la bagatelle de 17 albums enregistrés au sein de formations telles que Los Twist, Lions in Love ou Los Abuelos de la Nada, que Melingo commence à s’intéresser de près au tango. Sortiront 2 albums en Argentine, Tangos Bajos (1998) et Ufa (2003) avant qu’une rencontre avec Eduardo Makaroff de Gotan Project et une signature sur son label Mañana ne lui permettent d’envoûter à son tour le Vieux Continent avec Santa Milonga (2004) et Maldito Tango (2007).

Sur ces premiers essais, âpres comme une bagarre de rue, Melingo peaufine son style, incarnant une galerie de personnages peu recommandables, prostituées, voyous, clochards et proxénètes qui ne s’expriment qu’en lunfardo, l’argot des rues porteñas

Mais c’est au cours de la dernière décennie avec son alter-ego Linyera, personnage fictif sorti tout droit des recoins les plus primaux de son esprit, que Melingo touche définitivement la grâce. Les errances de ce clochard céleste, authentique dandy des bas-fonds, se déclineront sur trois albums d’une inestimable créativité. Au fil de cette odyssée, Linyera délaissera parfois sa chère Buenos Aires pour s’encanailler dans d’autres ports. Il s’enivrera alors de rebetiko, de dub ou d’un folk aride brûlé par un soleil de plomb… Mais, en dépit de ces escales exotiques, le poison mortifère des rues sombres de Buenos Aires est toujours là et ne cessera jamais de couler dans ses veines.

Linyera traverse un épais nuage de dub sur Navegantes (2019)

Une anthologie en quatre chapitres

Échafaudée à partir de ses huit albums studios, soit le cycle Linyera au grand complet et ses cinq précédentes productions, cette anthologie prend la parti de classer les 23 titres qui la composent en quatre grandes catégories stylistiques : tangos, valses et milongas, chansons et airs folklorique.  

Un choix qui nous permet d’apprécier toute la versatilité du maestro, créatif et affuté dans chacun de ces styles, et qui nous (re)plonge avec délice dans une discographie empilant outrageusement les sommets, des esquisses en clair-obscur d’Ayer et Televidente de la Vida à l’euphorique Narigon, de la torpeur hallucinée de Corazón y Hueso au grand cirque surréaliste de Cancion del Linyera.

La Canción del Linyera de Melingo (2014)

Si vous ne connaissez pas Melingo, S’il Vous Plait constitue une formidable porte d’entrée pour embrasser d’un seul mouvement l’univers cosmopolite et décalé du plus iconoclaste des chanteurs de tango argentin. Un artiste particulièrement irrésistible sur scène et que vous pourrez retrouver le 13 avril au Nouveau Théâtre de Montreuil dans le cadre du festival Banlieues Bleues !


FICHE ALBUM


Melingo – S’il Vous Plaît
  • Titre : S’il Vous Plaît
  • Artiste : Melingo
  • Date de sortie : le 8 avril 2022
  • Label : Musique Sauvage
  • Distribution : PIAS