Le documentaire 11M : les attentats de Madrid, récemment mis en ligne par la plateforme Netflix, revient sur les attentats commis le 11 mars 2004 par Al-Qaïda dans le centre de la capitale espagnole. Ces attaques, les plus meurtrières jamais commises en Espagne et en Europe, ont fait 192 victimes et près d’un millier de blessés. Une tragédie dont le temps efface difficilement les cicatrices. Mais aussi une tragédie parsemée de zones d’ombre et d’enjeux politiques que le réalisateur José Gómez s’attache à décrypter.


Un impossible oubli

Donnant dans un premier temps la parole aux victimes, à leurs proches ainsi qu’aux secouristes intervenus sur les sites des gares d’Atocha, d’El Pozo et de Santa Eugenia, 11M : les attentats de Madrid, révèle l’invraisemblable violence du drame et l’infinie douleur qu’il a provoqué chez ceux qui y ont été directement ou indirectement exposés.

Capture d’écran de 11M : les attentats de Madrid. En gare d’Atocha à Madrid.

En caméra fixe, sans mise en scène ou artifices, les témoignages recueillis avec respect et sobriété par José Gómez sont bouleversants… et parfois même glaçants, notamment dans la description sans fards, clinique, que certains secouristes font de ce qui s’apparente alors à de véritables scènes de guerre.

Mais au-delà de la tragédie humaine, de cette multitude de destins brisés, le réalisateur revient sur l’enquête en se penchant sur le contexte particulier dans lequel ces attentats se sont produits. Son attention se focalise alors sur les manœuvres politiques que ces événements tragiques ont suscité d’emblée au sommet du gouvernement…

L’ETA pointé du doigt

S’il est avéré que les attentats de Madrid furent orchestrés par Al-Qaïda pour se venger du soutien apporté aux États-Unis par le gouvernement conservateur de José María Aznar dans leur guerre contre l’Irak, les premières hypothèses échafaudées pour désigner les coupables ne pointent pas du tout dans cette direction.

En effet, le gouvernement Aznar impute d’emblée la responsabilité de ces attentats à l’ETA, qui nie pourtant rapidement et fermement toute implication. Une attitude troublante de la part du Premier ministre et de son gouvernement. En effet, le mode opératoire, très complexe et coordonné, ne ressemble pas à ceux de l’organisation terroriste basque. En outre, quatre mois plus tôt, le Premier ministre José María Aznar avait été informé par une agence de renseignements espagnole du risque croissant d’attentat islamiste dans la capitale. Les activités suspectes de l’algérien Allekema Lamari, l’un des sept hommes qui se suicideront le 3 avril pour échapper à la police, lui seront même notifiées.

À trois jours des élections générales, pointer du doigt l’ETA n’était-il qu’un calcul politique, un écran de fumée destiné à masquer – du moins temporairement – les conséquences funestes d’un engagement au sein de la coalition internationale en Irak alors qu’une majorité de la population y était opposée ?

manifestation suite aux attentas de Madrid le 11 mars 2004
Capture d’écran de 11M: les attentats de Madrid. Manifestation suite aux attentats.

À travers d’immenses manifestations, le peuple espagnol exprime spontanément sa douleur, mais aussi ses doutes quant aux réels commanditaires des tueries. Contre toute attente, José María Aznar et le Parti populaire perdront ces élections au profit du Parti socialiste de José Luis Zapatero qui, comme il l’avait promis lors de sa campagne, se désengagera de la coalition internationale en Irak.

Le venin de la théorie du complot

L’organisation terroriste basque était-elle impliquée dans cette vague d’attentats ? Pour l’ancien Premier ministre José María Aznar, c’est une conviction qu’il brandit comme une certitude et il n’en démordra jamais. Ainsi, neuf mois plus tard, face à la commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les zones d’ombre de cette affaire, il affirmera encore en dépit de l’accumulation de preuves impliquant Al-Qaïda qu’ETA était également impliqué. « Je crois ne pas être le seul à penser qu’ETA a quelque chose à voir avec les attentats du 11 mars » dira-t-il alors. « Je suis convaincu qu’ETA a participé d’une manière ou d’une autre aux attentats » renchérira même son ancien secrétaire d’État à la Sécurité, Ignacio Astarloa. 

L’idée d’une collaboration entre ces deux organisations terroristes, véritable terreau d’une théorie du complot qui ne sera jamais étayée par des faits, a pourtant fait son chemin dans de nombreux esprits, notamment grâce à la complicité de plusieurs médias – dont certains directement financés par le Parti populaire – qui se sont empressés de la relayer. C’est ce poison du doute, insidieusement instillé, que 11M contribue grâce à sa grande rigueur factuelle à méthodiquement démonter.

Un documentaire à charge contre la gouvernance de José María Aznar et du Parti populaire qui jette une lumière crue sur la mécanique perverse de ces « faits alternatifs » largement banalisés depuis sous la présidence de Donald Trump.

Bande annonce de 11M : les attentats de Madrid de José Gómez