Rencontre avec Marí Alessandrini 

« Le personnage de Mora est inspiré de la réalité contemporaine et historique de la Patagonie »

Portrait Marí Alessandrini © Norte Distribution

C’est par une chaude après-midi de juillet que nous avons rencontré la réalisatrice argentine Marí Alessandrini. Avec Zahorí, son premier long métrage, elle nous plonge dans un récit initiatique sous forme de passage à l’âge adulte au cœur des terres patagoniennes. Elle-même originaire de cette région du bout du monde, nous révèle le processus du tournage de ce film plein de sensibilité qui nous relie à la terre tout en mettant en avant la diversité et les traditions des populations autochtones. 


Zahorí, votre premier film, est une histoire sur l’adolescence en terres patagoniennes. Pouvez-vous nous parler de la genèse du film ?

Pour moi, il était clair dès le départ que l’action de mon premier film allait se situer en Patagonie, la terre où j’ai grandi. Mais avant toute chose, le récit devait me toucher profondément en tant que personne et en tant que femme.

De toutes les histoires que j’avais en tête à ce moment-là, je me suis décidée pour une histoire inspirée de mon expérience personnelle… Un jour, en faisant des photos, je me suis perdue dans la steppe patagonienne et j’ai fini par tomber un vieux Mapuche qui habitait au milieu de nulle part. C’est grâce à lui que j’ai pu trouver le chemin du retour vers ma maison. Cette rencontre m’a profondément marquée. J’ai été surprise par la sagesse de ce vieil homme, mais aussi et surtout, par la solitude dans laquelle il passé l’essentiel de ses jours. Faute de téléphone ou d’autres moyens de communication, il m’a demandé au moment où je partais de chez lui de lui laisser un message à la radio nationale afin qu’il puisse savoir que j’étais bien rentrée.

C’est à ce moment-là que j’ai réalisé à quel point cette génération était isolée du monde et marginalisée par le reste de la société. J’ai longuement pensé à lui et à tous ceux qui habitent seuls au cœur du désert. Pour la plupart, ce sont des gens très âgés qui vont probablement mourir dans la solitude la plus totale. C’est comme ça que j’ai imaginé la rencontre entre une adolescente dont les parents sont des immigrés venus d’Italie et un vieux Mapuche de la steppe.

Mora, la protagoniste principale, est une jeune fille de 13 ans en rupture avec ses parents et avec l’école. Comment avez-vous construit ce personnage ?

Le personnage de Mora est inspiré de la réalité contemporaine et historique de la Patagonie. Dans la région, il existe toujours aujourd’hui une forte immigration venue principalement d’Europe et qui recherche une terre symbole de liberté.

La relation entre les immigrés et les peuples autochtones est souvent tendue, voire même violente parfois. En général, la vision des européens et des nord-américains est toujours celle qui s’impose. Il y a un mépris envers les autochtones. J’ai ainsi voulu mettre avant tout l’accent sur l’importance de la diversité et du respect des traditions ancestrales.

« J’ai imaginé Zahorí comme un western avec une approche plus féministe et anticoloniale… »

L’adolescente trouve en Nazareno, un vieux gaucho Mapuche, une sorte de mentor, quelqu’un qui l’aide à découvrir le monde autrement en étant en contact étroit avec la nature…

Pour Mora, la rencontre avec Nazareno est capitale. C’est sa façon à elle de se rapprocher de ses racines, de ses origines. Elle est née en Patagonie, mais ses parents viennent d’ailleurs et vivent sans se soucier des gens qui les entourent. Mora perçoit Nazareno comme quelqu’un qui a un lien très fort à la terre. Et c’est ce qu’elle recherche au plus profond d’elle-même…

Dans le film, la Patagonie est un personnage à part entière. En tant que native de cette région, de quelle façon avez-vous choisi de la filmer ?

L’immensité est l’une des caractéristiques les plus frappantes de la Patagonie. Dans le film, j’ai décidé de montrer la steppe, la partie la plus étendue et la plus aride de la région. La steppe, ce sont des milliers et des milliers de kilomètres de désert et de pampa à perte de vue. C’est cette Patagonie, plus marginale et secrète, qui devait être au centre de l’histoire.

C’est la raison pour laquelle, j’ai choisi de tourner le film en format scope. Pour moi, c’était une évidence, l’Amérique du Sud a la même histoire que celle du Nord, c’est en quelque sorte son reflet dans un miroir. Les deux Amériques sont des terres de colons à la recherche d’un espace de liberté, d’un lieu où démarrer une nouvelle vie est possible.

Dans le film, les personnages sont profondément marqués par le paysage. Ils sont confrontés à des défis et il y a une relation forte avec l’environnement. Ça, c’est aussi la base du western. Le scope est un format majeur du western, mais ce genre a surtout mis en scène la conquête d’un territoire par des hommes blancs, généralement à travers la soumission, voire l’annihilation, des peuples autochtones, l’oppression des femmes et la domestication, l’esclavage des chevaux. J’ai imaginé Zahorí comme un western, mais avec une approche plus féministe et anticoloniale… Mora s’émancipe de l’oppression sociale et trouve sa propre voie grâce à son amitié avec Nazareno.

Dans le film il y a deux évangélistes qui parcourent la région à la recherche de fidèles. Pouvez-vous nous parler de ce phénomène en Patagonie ?

J’ai toujours pensé qu’il était important de dévoiler cette réalité dans le récit. Beaucoup de missionnaires se rendent en Patagonie pour prêcher la bonne parole et trouver des fidèles. Du reste, leur nombre est en hausse, surtout depuis que la région est frappée par la crise économique et que les populations se retrouvent de plus en plus en détresse. Pour moi, c’est comme une colonisation religieuse. Pour la plupart, ils viennent des États-Unis. Par le passé, ils venaient plutôt d’Espagne. Si auparavant, l’Église catholique était la plus présente, aujourd’hui, ce sont les mormons, les évangélistes et les témoins de Jéhovah qui ont pris le relais et qui sont les plus actifs. Ils se rendent chez l’habitant et leur offrent de l’aide. C’est comme ça qu’ils trouvent une porte d’entrée, en particulier dans la communauté Mapuche.

Crédits photos : Portrait Marí Alessandrini © Norte Distribution

Retrouvez ici notre chronique du film Zahorí


FICHE DU FILM


Affiche du film El buen patrón de Fernando León de Aranoa
  • Titre original : Zahorí
  • De : Marí Alessandrini
  • Avec : Lara Tortosa, Santos Curapil, Cirilo Wesley
  • Date de sortie : le 6 juillet 2022
  • Durée : 1h 45 min
  • Distributeur : Norte Distribution
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