Rencontre avec Rosa Montero

La bonne chance est un roman sur le Bien et le Mal


Avec sa prose sincère, lumineuse et toujours à fleur de peau, Rosa Montero a conquis des générations de lecteurs. De La folle du logis en passant par L’idée ridicule de ne plus te revoir ou Le poids du cœur, sa première incursion dans la science-fiction, thématique qu’elle continue à explorer avec sa détective réplicante Bruna Husky, la romancière madrilène est comme l’amie que nous souhaiterions tous avoir. Nous l’avons rencontré chez son éditeur Métailié à l’occasion de la sortie de son dernier roman, La bonne chance.


Pablo, Le protagoniste de La bonne chance, est un architecte reconnu qui décide subitement lors d’un voyage en train, de descendre et de disparaître pour commencer une nouvelle vie dans une ville perdue au milieu de nulle part. Comment ce personnage est-il né ?

Cette question qui nous concerne tous m’a toujours intéressée : qui n’a jamais songé à « sortir » de sa vie ? C’est une question que tout le monde se pose un jour ou l’autre, même si l’on considère avoir une vie merveilleuse ou que l’on est une grande personnalité comme Marie Curie ou Alexandre le Grand. Nos vies seront toujours plus étroites que nos désirs et que le champ des possibilités qui s’offrent à nous : on peut être jongleur dans un cirque ou astronaute. Et puis, la vie, et surtout le temps qui est une sorte de jardinier fou, taillent progressivement la plupart de ces possibilités vitales jusqu’à ne plus laisser qu’une seule branche qui devient alors notre biographie, notre vie.  

Cela dit, mon personnage ne part pas pour cette raison-là. Pablo a soudainement souffert d’un profond traumatisme qui l’a complètement bouleversé. Lorsqu’il descend du train, il ne réfléchit pas. Il veut juste laisser de côté sa vie et c’est pour cela qu’il achète un appartement miteux, en face de la gare, depuis lequel il voit passer les trains. Ces trains sont une métaphore de l’existence humaine.

À la fin du roman quelqu’un lui demande pourquoi il est descendu du train et il répond : « Je ne le sais pas. Ça a été un mouvement de reflexe comme lorsqu’on éloigne la main d’une flamme. »

La bonne nouvelle, c’est qu’il est capable de se construire une nouvelle vie et celle-ci est bien meilleure que celle qu’il avait auparavant.

Raluca, la deuxième protagoniste du roman, est une jeune femme d’origine roumaine, idéaliste, d’une bonté et d’un optimisme sans borne en dépit de son passé difficile.

Le personnage de Raluca est apparu petit à petit, avec les voisins de l’immeuble où Pablo a acheté son appartement. Pour moi, un auteur mature a l’humilité de se laisser raconter l’histoire par ses personnages. Le premier personnage apparaît d’abord, puis les autres s’ajoutent au fur et à mesure que l’on se plonge dans son entourage. Raluca a une forte présence dans le roman. On peut dire qu’elle avale littéralement le personnage de Pablo.

« La bonne chance est un roman sur le Bien et le Mal. »

La bonne chance nous dévoile le côté le plus sombre de l’être humain à travers des histoires réelles, des faits divers qui ont marqué les esprits…

Pour moi, La bonne chance est un roman sur le Bien et le Mal. Le Mal en majuscule, celui que nous ne pouvons pas comprendre et qui finit véritablement par nous détruire. Dans le roman, j’évoque l’idée que les religions sont apparues pour donner au Mal une signification. 

Comme représentation ultime du Mal, j’ai incorporé au récit ces histoires terrifiantes qui se déroulent au sein d’une famille : des viols, des assassinats, des tortures. Le protagoniste cherche à comprendre d’où vient le Mal. Il cherche une réponse qu’il ne trouvera pas. Et toutes ces histoires-là, aussi horribles soient-elles, sont des histoires vraies.  

L’amour est également très présent dans le roman. L’amour comme un baume réparateur capable de guérir les blessures les plus profondes…

Oui, l’amour réparateur et salvateur, dans tous les sens du terme. D’abord l’amour pour autrui. Pablo est un personnage marqué par une enfance très dure. Il a tellement souffert qu’il ne peut pas se permettre d’avoir des sentiments envers quelqu’un. Il pense à tort que les sentiments peuvent devenir son point faible. Il est comme ces êtres misanthropes qui fuient l’amour. C’est vrai que l’amour nous rend plus vulnérables et que cette vulnérabilité engendre des risques, mais sans amour, la vie ne serait sans doute pas véritablement accomplie.

Avec votre personnage Bruna Husky, une détective réplicante dont la mort est programmée, vous explorez également le thème de la science-fiction. En tant qu’auteur, vous sentez-vous plus libre dans ce genre littéraire particulier ?

Non, pour moi la science-fiction et la fiction tout court sont exactement la même chose. Je ne crois pas du tout aux genres. Par exemple, si l’on prend mon livre Le temps de la haine, c’est de la science-fiction mais c’est aussi un roman noir. C’est également un roman social et politique. Et on peut même dire que c’est un roman psychologique au même titre que n’importe quel roman d’amour.

D’où vient ce personnage incroyable qu’est Bruna Husky ?

À un moment, dans mon parcours littéraire, j’ai eu envie de créer un monde, un univers tout entier. Rapidement, je me suis tournée vers la science-fiction et j’ai commencé à réfléchir à un personnage. J’ai décidé de revisiter un mythe contemporain, celui des androïdes de Philip K. Dick. En réalité, les robots de K. Dick sont des robots organiques. Ils n’ont rien à voir avec Bruna Husky qui est un clone humain. Par contre, j’ai repris deux idées extrêmement puissantes chez lui : l’obsession pour la mort et l’existence des mémoires artificielles, c’est-à-dire la mémoire comme une invention. D’ailleurs, tous deux sont des sujets que l’on retrouve dans la plupart de mes livres et qui ont marqué ma carrière d’écrivain depuis son commencement.  

Comment avez-vous traversé la période du confinement en tant qu’autrice ?

Heureusement pour moi, j’avais déjà achevé la version définitive de La bonne chance au tout début de janvier 2020. Quand cette chose horrible est survenue, pour la première fois de ma vie, je n’arrivais même pas à lire. La lecture a toujours été pour moi un talisman, quelque chose qui m’a sauvé dans les moments le plus difficiles de ma vie. Ça a duré environ un mois, un mois et demi. C’est quelque chose que beaucoup de gens ont vécu. Et puis, j’ai enchaîné rapidement et retravaillé le manuscrit. Petit à petit, j’ai repris mes lectures et l’écriture.

Pouvez-vous nous parler de votre prochain roman ?

Oui, il s’agit d’un livre qui mélange essai et fiction, à l’image de La folle de logis, qui traite du rapport entre création et folie. Ça fait deux ans que je lis sur ce sujet. On peut dire que je suis en immersion complète. J’ai lu et relu toute l’œuvre de Sylvia Plath, tous les ouvrages de Ted Hughes. En ce moment, je suis en train de lire Anne Sexton. Et bien sûr, beaucoup de livres de neurologie, de psychiatrie et de psychanalyse.

Crédits photos : Lisbeth Salas

Retrouvez ici notre chronique de La bonne chance.


FICHE DU LIVRE


  • Titre original : La buena suerte
  • De : Rosa Montero
  • Date de sortie : septembre 2021
  • Editeur : Editions Métailié

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