Rencontre avec Elena Medel

" J’écris toujours sur des femmes... Pour moi c’est presque un acte politique "

Elena Medel / © Laura C. Vela

C’est dans un petit hôtel parisien non loin de République que nous rencontrons Elena Medel. Cette poétesse confirmée née à Cordoue présente à Paris son premier roman, Les Merveilles, paru récemment aux Editions La croisée. Un livre qui connait déjà un grand succès en Espagne et qui a remporté le prestigieux prix Francisco Umbral. Elle nous reçoit à la porte avec enthousiasme et amabilité et nous invite à nous assoir autour d’une table où reposent deux tasses de café. Nous parlons des femmes, de précarité et surtout, de littérature.  


Votre roman s’intéresse à l’univers féminin principalement à travers deux protagonistes, María et Alicia, deux femmes de générations différentes avec des passés très différents également, mais dans des situations similaires en raison de leur statut économique précaire. Quelle a été la genèse de ce roman ?

En réalité, c’est le quatrième roman que j’écris, mais c’est le premier à être publié. Il y avait un personnage qui apparaissait dans les trois autres romans. C’était un personnage secondaire, une femme. Petit à petit, celle-ci a pris de l’ampleur. À partir de ce personnage qui me pose question, j’ai commencé à écrire un chapitre, puis, Les Merveilles. On peut dire qu’avec ce personnage d’Alicia, j’ai commencé à construire l’histoire.

En lisant le roman, on ressent beaucoup le vécu. Avez-vous connu beaucoup de femmes dans la situation de María et Alicia ?

D’une certaine manière, Alicia et María appartiennent à mon univers. Dès le début, je n’ai pas souhaité les faire paraître comme des héroïnes, comme des pauvres femmes en situation de précarité ou les sacraliser. Je souhaitais juste parler du monde réel, celui que connaissent les classes populaires. Beaucoup d’expériences du travail, surtout celles de María, viennent des expériences de ma famille et de mon entourage proche. C’est quelque chose que j’ai vécu de très près.

La manque d’argent peut être vécu comme un gouffre sans fond dont il est très difficile de se sortir…Pensez-vous qu’il est plus difficile de sortir de la pauvreté quand on est une femme ?

J’écris sur des femmes et dans ma poésie, il y a une voix féminine très reconnaissable. Pour moi, c’est presque un acte politique. On a raconté les histoires des hommes pendant des siècles, les hommes ont aussi raconté les histoires des femmes pendant des siècles mais pour moi, c’est très important de raconter ces histoires féminines à la première personne. Et je pense que ces histoires racontées par des femmes sont des histoires universelles.

Au final, Les Merveilles est un roman sur l’argent. L’argent ou le manque d’argent touche de la même manière les hommes et les femmes. Je voulais raconter cette histoire du point de vue des femmes.

« Je pense que c’est nécessaire de revendiquer l’importance de certains emplois comme femme de ménage, caissière, aide-soignant. »

Dans un passage du livre, María, qui a travaillé tout sa vie comme femme de ménage, affirme qu’elle est fière de son emploi, qu’elle aime bien nettoyer et laisser les choses et les endroits où elle travaille propres. Avez-vous écrit ce livre pour donner davantage de visibilité aux gens qui occupent ces emplois précaires ?

Je pense que c’est nécessaire de revendiquer l’importance de certains emplois comme femme de ménage, caissière, aide-soignant. On a tendance à les mépriser car on les considère comme peu intellectuels, répétitifs et réservés aux classes défavorisées. Au contraire, ces emplois sont nécessaires au bon fonctionnement de la société. On l’a vu très clairement pendant la pandémie. D’ailleurs, la plupart de ces emplois précaires sont exercés par des femmes.

Un jour, lors d’une foire littéraire, une femme est venue me voir et m’a dit que ce passage du livre avec María l’avait profondément touchée. Elle était aussi femme de ménage. Cette lectrice m’avait dit qu’elle était fière de son travail et qu’il ne fallait pas se tromper, tout le monde ne sait pas nettoyer. En dépit des apparences, ce n’est pas si facile que ça.

Au fil des chapitres du roman, vous alternez entre les vies des deux protagonistes. Comment avez-vous imaginé cette structure ?

Dès le départ, j’avais cette structure clairement en tête. Cela me permettait d’intercaler les personnages et de les présenter en même temps et de façon progressive au lecteur. De cette manière, j’ai aussi pu travailler et mettre l’accent sur les différences qui les séparent.  

Qu’avez-vous lu pendant l’écriture de Les Merveilles ?

Tous les matins avant de me mettre à écrire, je lisais pendant une demi-heure. C’était comme un échauffement, comme quelqu’un qui va faire du sport. Je lisais beaucoup de Carmen Martín Gaite, surtout Entre visillos. Avec une écriture en apparence très simple, elle réussit quelque chose de très difficile, nous dévoiler plusieurs lectures différentes dans un même roman. J’ai aussi lu une poétesse espagnole qui est moins connue, Ángela Figuera Aymerich de la Génération du 36. Elle écrit de la poésie sociale, presque politique, avec une voix très intime. Ses poèmes se situent dans les espaces de la femme dans son intimité.

Pour ce livre, j’ai aussi beaucoup lu Annie Ernaux, c’est une écrivaine extraordinaire et une référence très importante pour moi. Peut-être pour les mêmes raisons que Carmen Martín Gaite et Ángela Figuera Aymerich. Elle se sert beaucoup de son intimité et de sa biographie pour construire ses romans qui sont profondément sociaux.

Vous venez de la poésie. Est-il difficile d’écrire de la prose quand on est poète ?

J’ai commencé à écrire à l’âge de huit ans, des petits contes sur ma vie, mon entourage ou des personnages de fiction. Pour moi, c’était comme un jeu. À l’adolescence, la lecture de Poète à New-York m’a bouleversée. Et je me suis mis à écrire de la poésie. J’étais fascinée par cette façon qu’avait Lorca d’utiliser le langage. Et lorsque je me suis lancée dans la prose, c’était aussi très naturel. C’était quelque chose que j’avais envie de faire depuis un moment. L’unique règle que je m’impose c’est que quand je suis en train d’écrire de la prose, je n’écris pas de la poésie en même temps et vice-versa. Ce sont deux genres bien distincts.

Vous avez également fondé une maison d’édition de poésie, La Bella Varsovie…

La maison d’édition a été fondée il y a dix-huit ans. Maintenant, elle fait partie d’Anagrama, mais nous sommes en quelque sorte toujours indépendants. Nous éditons surtout des poétesses contemporaines vivantes. Il y a aussi des auteurs, mais ils sont minoritaires.

Nous avons aussi lancé une petite collection, Biblioteca, où l’on fait des anthologies de poétesses qui n’ont pas été reconnues à leur juste valeur à leur époque. Par exemple, nous avons publié une anthologie de Nicolasa de Helguero, qui fait de la poésie conventuelle comme Santa Teresa, mais dans un autre registre, plus néo-classique et illustré. J’ai découvert cette autrice par hasard, pendant la pandémie, en surfant sur des bibliothèques digitales…J’ai tout de suite été subjuguée par la qualité de sa poésie. Cela faisait deux cents ans que personne ne l’avait publié et je me suis dit qu’elle le méritait largement.

Crédits photos : Laura C. Vela (Portrait de Elena Medel)


FICHE DU LIVRE


Couverture de Les Merveilles d‘Elena Medel
  • Titre original : Las Maravillas
  • De : Elena Medel
  • Date de sortie : mars 2022
  • Editeur : Editions La Croisée

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