Ibeyi, Spell 31. Entre ombre et lumière

Le duo signe son grand retour avec un petit bijou minimaliste

Naomi et Lisa-Kaindé Díaz d'Ibeyi © Suleika Muller

Les sœurs Díaz ont beau avoir conquis le monde, croisé le fer avec Orelsan, Residente et Beyoncé, ce n’est pas pour autant qu’elles versent dans la facilité. Après deux albums remarquables, Ibeyi (2015) et Ash (2017), Spell 31 s’impose comme un nouveau diamant brut, un point d’orgue dans une discographie qui ne souffrait déjà d’aucun faux pas. Entre ombre et lumière, ce nouvel opus entremêle le spirituel et la chair, l’amour et la mort, le passé, le présent et le futur, dans un tourbillon de créativité permanent.  


Ibeyi, la force de la dualité

Elles sont jumelles, certes, mais chacune a sa propre personnalité. Bercée par le jazz et la soul, Lisa-Kaindé respire le calme, la sérénité et se prête volontiers au jeu des interviews. Plus ombrageuse, Naomi s’est quant à elle nourrie au hip-hop et ne distille ses interventions qu’avec parcimonie.

Lisa Kainde et Naomi d'Ibeyi
Naomi et Lisa-Kaindé Díaz © Suleika Muller

Deux personnalités très contrastées, mais qui ont compris dès le départ que leur dualité était la grande force de leur projet. Les mélodies aériennes de Lisa-Kaindé, les pulsations telluriques de Naomi, cette renversante alchimie se retrouve jusque dans leurs voix, cristalline chez l’une, légèrement éraillée chez l’autre…

Comme les deux faces d’une même pièce, Lisa-Kaindé et Naomi se complètent parfaitement et ont trouvé dans la mystique des chants Yorubas, transmise par leur père Anga Díaz, célèbre percussionniste cubain disparu alors qu’elles n’étaient qu’enfants, un langage commun qui les rassemble.

Spell 31, less is more

À l’heure où, dans les musiques urbaines, le contenant dicte le contenu et que fleurissent des albums d’une trentaine de titres au motif peu avouable que davantage de clics génèrent davantage de revenus, voir débarquer un album concis et cohérent, d’une dizaine de titres seulement, est plutôt réjouissant. Car Spell 31 ne s’embarrasse pas de plages inutiles, pas plus qu’il n’empile à outrance les singles ou les featurings clinquants. C’est un album à part entière, au sens noble du terme, qui fera le bonheur de tous ceux qui, comme nous, restent très attachés à ce format.

Spell 31 s’ouvre ainsi sur l’imparable Sangoma, une magnifique ballade soul gorgée de spiritualité sur laquelle les voix de Naomi et de Lisa-Kaindé se cherchent, puis se trouvent, avant de s’envoler à l’unisson. O Inle nous embarque quant à lui pour Cuba. Un titre d’une trentaine de secondes seulement, dépouillé jusqu’à l’os, dont le chant incantatoire semble surgir de la nuit des temps.

Convoquant Pa Salieu, un jeune rappeur britannique d’origine gambienne, Made of Gold mêle avec brio chœurs ancestraux, flow hip-hop et déflagrations électro. Un morceau terriblement accrocheur, aux arrangements vocaux dévastateurs, qui constitue un excellent choix de single.

Clip de Made of Gold d’Ibeyi (2022)

Le voyage s’achève comme il a commencé, en apothéose, avec trois titres particulièrement saisissants. Tout d’abord, Lavender & Red Roses, qui réussit le tour de force d’embrasser dans un même élan la soul ombrageuse et tourmentée de Portishead et celle plus suave et apaisée de Jill Scott ou de Meshell Ndegeocello.

Débarque ensuite Rise Above, revendicatif en diable, qui part fièrement, le poing levé, se battre contre le racisme et les inégalités. Porté par une remarquable instrumentation, climax oppressif, basse d’airain forgée dans l’eau lourde, rythmique martiale obsédante, Rise Above n’est pas sans rappeler les indicibles tensions du Mezzanine (1998) de Massive Attack.

Comme un chant du cygne, Spell 31 se conclue par une poignante incantation. Tapis de chœurs responsifs, pulsation rythmique organique, océan de réverbération, Los Muertos est une prière à tous ces proches partis trop tôt. Miguel Anga Díaz, Rémy Kolka Kopoul, Prince, Roy Hargrove, Cachaíto… Les noms s’égrènent et tous répondent à l’appel, marchant alors à leurs côtés comme ils l’ont toujours fait, de leur vivant ou dans l’au-delà…

À nouveau produit par Richard Russell, patron du puissant label britannique XL Recordings, ce troisième album d’Ibeyi est un petit bijou de minimalisme, un voyage intimiste et mystique dans lequel pas une note, pas un mot, pas un son n’est de trop.

Vous pouvez écouter et acheter Spell 31 d’Ibeyi ici.


FICHE ALBUM


Spell 31 – Ibeyi

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